Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/733

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Dieu nous doit bien ça, à nous autres qui aurons tant travaillé… Vous savez que je ne suis pas une dévote, oh ! non. Mais ça ne m’a pas empêchée de me conduire honnêtement, et c’est si vrai que, telle que vous me voyez, je n’ai jamais eu d’amoureux. Lorsqu’on dit cette chose-là, à mon âge, on a l’air bête. Tout de même, je la dis, parce que c’est la vérité pure.

Elle continuait de rire, en brave fille qui ne croyait pas aux curés et qui n’avait pas un péché sur la conscience. Et Pierre s’émerveillait une fois encore de ce simple courage à vivre, de ce grand bon sens pratique, chez cette laborieuse si dévouée, qui incarnait pour lui le menu peuple incroyant de France, ceux qui ne croyaient plus, qui ne croiraient jamais plus. Ah ! être comme elle, faire sa tâche et se coucher pour l’éternel sommeil, sans révolte de l’orgueil, dans l’unique joie de sa part de besogne accomplie !

— Alors, Victorine, si je passe jamais par Auneau, je dirai bonjour pour vous au petit bois plein de mousse ?

— C’est ça, monsieur l’abbé, dites-lui qu’il est dans mon cœur et que je l’y vois reverdir tous les jours.

Pierre ayant fini de souper, elle fit emporter la desserte par Giacomo. Puis, comme il n’était que huit heures et demie, elle conseilla au prêtre de passer bien tranquillement une heure encore dans sa chambre. À quoi bon aller se glacer trop tôt à la gare ? À neuf heures et demie, elle enverrait chercher un fiacre ; et, dès que cette voiture serait en bas, elle monterait le prévenir, elle ferait descendre ses bagages. Donc, il pouvait être bien tranquille, il n’avait plus à s’inquiéter de rien.

Quand elle s’en fut allée et que Pierre se trouva seul, il éprouva en effet un sentiment de vide, de détachement extraordinaire. Ses bagages, sa valise et sa petite caisse, étaient par terre, dans un coin de la chambre. Et quelle