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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/74

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voix venait du salon voisin, un grand salon dont la porte, ouverte à deux battants, découpait un carré de clarté plus vive.

Tout de suite la jeune femme s’était montrée accueillante, avec une parfaite simplicité.

— Ah ! monsieur l’abbé, je suis heureuse de vous voir. J’ai craint que votre indisposition ne fût grave. Vous voilà tout à fait remis n’est-ce pas ?

Il l’écoutait, séduit par sa voix lente, légèrement grasse, où toute une passion contenue semblait passer dans beaucoup de sage raison. Et il la voyait enfin, avec ses cheveux si lourds et si bruns, sa peau si blanche, d’une blancheur d’ivoire. Elle avait la face ronde, les lèvres un peu fortes, le nez très fin, des traits d’une délicatesse d’enfance. Mais c’étaient surtout les yeux, chez elle, qui vivaient, des yeux immenses, d’une infinie profondeur, où personne n’était certain de lire. Dormait-elle ? Rêvait-elle ? Cachait-elle la tension ardente des grandes saintes et des grandes amoureuses, sous l’immobilité de son visage ? Si blanche, si jeune, si calme, elle avait des mouvements harmonieux, toute une allure très réfléchie, très noble et rythmique. Et, aux oreilles, elle portait deux grosses perles, d’une pureté admirable, des perles qui venaient d’un collier célèbre de sa mère, et que Rome entière connaissait.

Pierre s’excusa, remercia.

— Madame, je suis confus, j’aurais voulu dès ce matin vous dire combien j’étais touché de votre bonté trop grande.

Il avait hésité à l’appeler madame, en se rappelant le motif allégué dans son instance en nullité de mariage. Mais, évidemment, tout le monde l’appelait ainsi. Son visage, d’ailleurs, était resté tranquille et bienveillant, et elle voulut le mettre à son aise.

— Vous êtes chez vous, monsieur l’abbé. Il suffit que notre parent, monsieur de la Choue, vous aime et s’intéresse à votre œuvre. Vous savez que j’ai pour lui une grande affection…