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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/753

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continua. Est-ce que Rome n’était pas atteinte, est-ce que son heure n’était pas venue de disparaître, dans cette destruction que les peuples en marche laissaient continuellement derrière eux ? La Grèce, Athènes et Sparte s’ensommeillaient sous leurs glorieux souvenirs, ne comptaient plus dans le monde aujourd’hui. Tout le bas de la péninsule italique était déjà gagné par la paralysie montante. Et, en même temps que Naples, c’était bien le tour de Rome désormais. Elle se trouvait à la limite de la contagion, à cette marge de la tache de mort qui s’étend sans cesse sur le vieux continent, cette marge où l’agonie se déclare, où la terre appauvrie ne veut plus nourrir ni supporter des villes, où les hommes eux-mêmes semblent frappés de vieillesse dès la naissance. Depuis deux siècles, Rome allait en déclinant, s’éliminait peu à peu de la vie moderne, sans industrie, sans commerce, incapable même de science, de littérature et d’art. Et ce n’était plus seulement la basilique de Saint-Pierre, qui s’effondrait, qui semait l’herbe de ses débris, comme autrefois le temple de Jupiter Capitolin. Dans la rêverie noire et douloureuse, c’était Rome entière qui croulait en un suprême craquement, qui couvrait les sept collines du chaos de ses ruines, les églises, les palais, les quartiers entiers disparus, dormant sous les orties et les ronces. Comme Ninive et Babylone, comme Thèbes et Memphis, Rome n’était plus qu’une plaine rase, bossuée par des décombres, au milieu desquels on cherchait vainement à reconnaître la place des anciens édifices, et qu’habitaient seuls des nœuds de serpents et des bandes de rats.

La voiture tournait, et Pierre reconnut, à droite, dans un trou énorme de nuit entassée, la colonne Trajane. Mais, à cette heure, elle se dressait noire, telle que le tronc mort d’un arbre géant, dont le grand âge aurait abattu les branches. Et, plus haut, en traversant la place triangulaire, lorsqu’il leva les yeux, l’arbre réel qu’il