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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/754

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distingua sur le ciel de plomb, le pin parasol de la villa Aldobrandini, qui était là comme la grâce et la fierté de Rome, ne fut désormais pour lui qu’une salissure, le petit nuage de poussière charbonneuse qui montait du total écroulement de la ville.

Une épouvante le prenait maintenant, au bout de ce rêve tragique, dans sa fraternité inquiète. Et, lorsque l’engourdissement qui monte à travers le monde vieilli aurait dépassé Rome, lorsque la Lombardie serait prise, que Gênes, et Turin, et Milan, s’endormiraient comme Venise déjà s’endort, ce serait donc ensuite le tour de la France ! Les Alpes seraient franchies, Marseille verrait ses ports comblés par le sable, comme ceux de Tyr et de Sidon, Lyon tomberait à la solitude et au sommeil, Paris enfin, envahi par l’invincible torpeur, changé en un champ de pierres stérile, hérissé de chardons, rejoindrait dans la mort Rome, et Ninive, et Babylone, tandis que les peuples continueraient leur marche du levant au couchant, avec l’éternel soleil. Un grand cri traversa l’ombre, le cri de mort des races latines. L’Histoire, qui semblait être née dans le bassin de la Méditerranée, se déplaçait, et l’Océan aujourd’hui devenait le centre du monde. Où en était-on de la journée humaine ? Partie de là-bas, du berceau, au lever de l’aube, l’humanité, d’étape en étape, semant sa route de ses ruines, se trouvait-elle à la moitié du jour, lorsque midi flamboie ? C’était alors l’autre moitié des temps qui commençait, le nouveau monde après l’ancien, ces villes d’Amérique où s’ébauchait la démocratie, où poussait la religion de demain, les reines souveraines du prochain siècle, avec, là-bas, au-delà d’un autre Océan, en revenant vers le berceau, sur l’autre face de la terre, l’Extrême-Orient immobile, la Chine et le Japon mystérieux, tout le pullulement menaçant de la race jaune.

Mais, à mesure que le fiacre gravissait la rue Nationale, Pierre sentait son cauchemar se dissiper. Un air plus léger soufflait, il rentrait dans plus d’espérance et de