Le roman n’est pas comme l’auteur dramatique, il ne dépend pas de la foule. Si vous voulez nous appellerons Germinie Lacerteux un traité de physiologie, nous le mettrons dans une bibliothèque médicale, nous recommanderons aux jeunes filles et aux gens délicats de ne jamais le lire. Tout cela n’empêchera pas que Germinie Lacerteux ne soit un livre des plus remarquables.
Vous dites qu’il est facile de travailler dans l’horrible. Oui et non. Il est facile — et vous l’avez prouvé — d’écrire une page violente, sans y mettre autre chose que de la violence ; mais il n’est plus aussi facile d’avoir une fièvre toute personnelle, et d’employer l’activité que vous donne cette fièvre, à observer et à sentir la vie. Demandez à M. Claretie s’il renie ses premiers livres, comme vous paraissez le dire. Quant à moi, je ne pense pas qu’il renonce à l’étude de la vie moderne, et je crois qu’il y reviendra tôt ou tard avec un égal amour pour la réalité.
Les Derniers Montagnards, un beau livre que je viens de lire, ne sont qu’une ode en l’honneur de l’héroïsme et de l’amour patriotique. Au-dessous de ses folies généreuses, la nature humaine a ses misères de tous les jours, qui sont moins consolantes, mais aussi intéressantes à étudier.
D’ailleurs, ne tremblez pas, monsieur. « La littérature putride » ne nourrit pas ses auteurs. Le public n’aime pas les vérités, il veut des mensonges pour son argent. Vous accusez presque MM. de Goncourt d’être « trivialistes », uniquement pour être lus. Eh ! bon Dieu ! vous ne savez donc pas qu’on a vendu trente mille exemplaires de M. de Camors, et que Germinie Lacerteux n’en est qu’à sa seconde édition.
Croyez-moi, monsieur, laissez en paix les romanciers consciencieux. S’il vous faut dévorer quelqu’un, dévorez nos petits musiciens, nos petits faiseurs de parades, ceux qui font vivre le public de platitudes.
Un dernier mot. J’ai évité de parler de moi. Permettez-moi pourtant de vous dire que, si j’ai été parfois intolérant, comme vous me le reprochez, jamais je n’ai écrit un article qui pût écœurer et faire rougir mes lectrices. Je vous défie de trouver dans la collection de l’Événement, une seule phrase signée de mon nom que vous