Vous restez à fleur de peau, monsieur, tandis que les romanciers analystes ne craignent pas de pénétrer dans les chairs. C’est moins voluptueux, et moins agréable, je le sais ; les tableaux vivants, les apothéoses de féerie sont excellents pour procurer des rêves amoureux ; la vue d’une salle d’amphithéâtre est au contraire écœurante pour ceux qui n’ont pas l’amour austère de la vérité. Je crains bien que nous ne nous entendions pas. Je trouve fort indécente l’exhibition de certaines actrices, et je n’éprouve qu’une douleur émue en face des plaies intérieures du corps humain.
S’il est possible, ayez un instant la curiosité du mécanisme de la vie, oubliez l’épiderme satiné de telle ou telle dame, demandez-vous quel tas de boue est caché au fond de cette peau rose dont le spectacle contente vos faciles désirs. Vous comprendrez alors qu’il a pu se rencontrer des écrivains qui ont fouillé courageusement la fange humaine. La vérité, comme le feu, purifie tout. Il y a des gens qui emmènent le soir des filles et qui les renvoient le lendemain matin après s’être assurés si elles ont la taille mince et les bras forts ; il y en a d’autres qui préfèrent étudier les drames intérieurs de la femme, qui ne touchent à la chair que pour en expliquer les fatalités.
D’ailleurs, monsieur, je vous l’accorde, on doit fouiller la boue aussi peu que possible. J’aime comme vous les œuvres simples et propres, lors qu’elles sont fortes et vraies en même temps. Mais je comprends tout, je fais la part de la fièvre, je m’attache surtout dans un roman à la marche logique des faits, à la vie des personnages ; j’admire Germinie Lacerteux, moins dans les pages brutales du livre que dans l’analyse exacte des personnages et des faits. Vous déclarez l’œuvre putride parce que certains tableaux vous ont choqué ; c’est là de l’intolérance.
Passez outre, et dites-moi si les auteurs n’ont pas créé des personnes vivantes, au lieu des poupées mécaniques que l’on rencontre dans les romans de M. Feuillet par exemple.
Je vous avertis que je suis de l’avis de Stendhal. Je crois qu’un romancier doit d’abord écrire ses œuvres pour lui : le souci du public vient ensuite.