Page:Zola - Lettre à la France, 1898.djvu/14

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C’est le général que tu veux dans ta couche. Et que l’affaire Dreyfus est loin ! Pendant que le général Billot se faisait acclamer à la Chambre, je voyais l’ombre du sabre se dessiner sur la muraille. France, si tu ne te méfies, tu vas à la dictature.

Et sais-tu encore où tu vas, France ? Tu vas à l’Église, tu retournes au passé, à ce passé d’intolérance et de théocratie, que les plus illustres de tes enfants ont combattu, ont cru tuer, en donnant leur intelligence et leur sang. Aujourd’hui, la tactique de l’antisémitisme est bien simple. Vainement le catholicisme s’efforçait d’agir sur le peuple, créait des cercles d’ouvriers, multipliait les pèlerinages, échouait à le reconquérir, à le ramener au pied des autels. C’était chose définitive, les églises restaient désertes, le peuple ne croyait plus. Et voilà que des circonstances ont permis de souffler au peuple la rage antisémite, on l’empoisonne de ce fanatisme, on le lance dans les rues, criant : « À bas les juifs ! À mort les juifs ! » Quel triomphe, si l’on pouvait déchaîner une guerre religieuse ! Certes, le peuple ne croit toujours pas ; mais, n’est-ce pas le commencement de la croyance, que de recommencer l’intolérance du Moyen Âge, que de faire brûler les juifs en place publique ? Enfin, voilà donc le poison trouvé ; et, quand on aura fait du peuple de France un fanatique et un bourreau, quand on lui aura arraché du cœur sa générosité, son amour des droits de l’homme, si durement conquis, Dieu sans doute fera le reste.

On a l’audace de nier la réaction cléricale. Mais elle est partout, elle éclate dans la politique, dans les arts, dans la presse, dans la rue ! On persécute aujourd’hui les juifs, ce sera demain le tour des protestants ; et déjà la campagne commence. La République est