Page:Zola - Lettre à la France, 1898.djvu/13

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Comment pourrais-tu vouloir la vérité et la justice, lorsqu’on détraque à ce point toutes les vertus légendaires, la clarté de ton intelligence et la solidité de la raison ?

Mais il est des faits plus graves encore, tout un ensemble de symptômes qui font, de la crise que tu traverses, un cas d’une leçon terrifiante, pour ceux qui savent voir et juger. L’affaire Dreyfus n’est qu’un incident déplorable. L’aveu terrible est la façon dont tu te comportes dans l’aventure. On a l’air bien portant, et tout d’un coup de petites taches apparaissent sur la peau : la mort est en vous. Tout ton empoisonnement politique et social vient de te monter à la face.

Pourquoi donc as-tu laissé crier, as-tu fini par crier toi-même, qu’on insultait ton armée, lorsque d’ardents patriotes ne voulaient au contraire que sa dignité et son honneur ? Ton armée, mais, aujourd’hui, c’est toi tout entière ; ce n’est tel chef, tel corps d’officiers, telle hiérarchie galonnée, ce sont tous tes enfants, prêts à défendre la terre française. Fais ton examen de conscience : était-ce vraiment ton armée que tu voulais défendre quand personne ne l’attaquait ? N’était-ce pas plutôt le sabre que tu avais le brusque besoin d’acclamer ? Je vois, pour mon compte, dans la bruyante ovation faite aux chefs qu’on disait insultés, un réveil, inconscient sans doute, du boulangisme latent, dont tu restes atteinte. Au fond, tu n’as pas encore le sang républicain, les panaches qui passent te font battre le cœur, un roi ne peut venir sans que tu en tombes amoureuse. Ton armée, ah bien, oui, tu n’y songes guère !