Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/119

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seule, elle réfléchit à la proposition de son amant. L’idée d’un mariage la flattait, tout en lui causant une sorte de surprise effrayée. Jamais cette idée ne lui était venue. Elle n’aurait osé faire un pareil rêve. Alors, en songeant à la vie calme et digne que lui offrait Guillaume, elle s’étonna beaucoup de s’être révoltée. Au souvenir des paroles caressantes du jeune homme, elle eut honte d’avoir montré tant de dureté, elle se demanda quel sentiment secret l’avait poussée à refuser une union qu’elle aurait dû accepter avec humilité et reconnaissance. Pourquoi ses craintes, ses hésitations ? N’était-elle pas libre, comme Guillaume l’avait dit ? Quelle nécessité lui faisait dédaigner le bonheur inespéré qui venait à elle ? Elle se perdit dans ces questions, elle ne découvrit dans sa chair qu’un malaise vague. Elle se serait bien fait une réponse, qui lui semblait sotte, ridicule, et qu’elle évitait. La vérité était qu’elle songeait à Jacques. Elle avait senti le souvenir de cet homme s’éveiller confusément dans son être, tandis que son amant lui parlait. Mais ce ne pouvait être ce souvenir qui la troublait. Jacques était mort, elle ne lui devait rien, pas même un regret. De quel droit serait-il ressuscité en elle pour lui rappeler qu’elle lui appartenait ? Les doutes qui, à cette heure, lui venaient sur sa liberté, l’irritaient profondément. Maintenant que le fantôme de son premier amour s’était dressé, elle luttait corps à corps avec lui, elle voulait le vaincre pour se prouver qu’il ne la possédait pas. Et elle avait conscience, en dépit de ses rires de dédain, que Jacques seul avait pu la rendre dure pour Guillaume. Cela était monstrueux, inexplicable. Quand ces idées lui apparurent nettement, dans les cauchemars de son insomnie, elle décida, avec toute la violence de sa nature, qu’elle ferait taire le mort en épousant le vivant. Elle s’endormit au petit jour. Elle rêva que le naufragé sortait des vagues livides de la mer et venait l’arracher des bras de son mari.

Lorsque Guillaume arriva le matin, tremblant et inquiet, il trouva Madeleine encore endormie. Il la prit