Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/126

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Guillaume trouvait un grand repos dans la force souriante de Madeleine. Lorsqu’elle le prenait contre sa poitrine, elle lui donnait de sa puissance. Il aimait à poser la tête sur son sein, à écouter les battements réguliers de son cœur. C’étaient ces battements qui réglaient sa vie. Une femme ardente et nerveuse l’eût jeté dans des angoisses cruelles, lui dont le corps et l’esprit frissonnaient au moindre heurt. Le souffle mesuré de Madeleine le fortifiait au contraire. Il devenait homme. Sa faiblesse n’était plus que de la douceur. La jeune femme l’avait absorbé ; elle le portait en elle maintenant. Ainsi qu’il arrive dans toute union, l’être fort avait pris fatalement possession de l’être faible, et désormais Guillaume appartenait à celle qui le dominait. Il lui appartenait d’une façon étrange et profonde. Il en recevait une influence continuelle, ayant ses tristesses et ses joies, la suivant dans chaque changement de sa nature. Lui, il disparaissait, il ne s’imposait jamais. Il aurait voulu se révolter qu’il se serait trouvé comme emporté dans la volonté de Madeleine. À l’avenir, sa tranquillité dépendait de cette femme dont l’existence devait forcément devenir la sienne. Si elle gardait sa paix, il vivrait paisiblement de son côté ; si elle s’affolait, il se sentirait fou comme elle. C’était une pénétration complète de chair et de cœur.

D’ailleurs, la vie s’ouvrait large et tranquille, les époux regardaient sans crainte devant eux. Quatre années de félicité les rassuraient contre toute secousse. Guillaume était heureux de s’abandonner, de se sentir respirer et grandir dans les volontés de sa femme ; il lui disait parfois avec un sourire : « C’est toi qui es l’homme, Madeleine. » Elle l’embrassait alors, confuse de ce pouvoir qu’elle prenait malgré elle, par la force de son tempérament. À les voir descendre au parc, ayant au milieu d’eux la petite Lucie dont ils tenaient chacun une main, on eût deviné les joies sereines de leur union. L’enfant était comme un lien qui les attachait. Quand la fillette ne les accompagnait pas, Guillaume paraissait frêle à côté de Madeleine ;