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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/128

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cette observation et cette science de ce qu’il nommait les grimaces des visages, lui avait donné un mépris souverain pour les hommes. Aigri par sa surdité, ce dont il ne voulait pas convenir, il se disait parfois qu’il était heureux d’être sourd et de pouvoir s’isoler dans un coin. Son orgueil de race se tournait en raillerie impitoyable ; il avait l’air de croire qu’il vivait au milieu d’un peuple de misérables pantins, pataugeant dans la boue comme des chiens errants, rampant lâchement devant le fouet et se dévorant pour un os trouvé parmi des ordures. Sa face morte et hautaine protestait contre la turbulence des autres faces, ses rires pointus étaient les ricanements d’un homme que l’infamie amuse et qui dédaigne de se fâcher contre des brutes privées de raison.

Il éprouvait cependant quelque amitié pour le jeune ménage ; mais cela n’allait pas jusqu’à désarmer sa curiosité moqueuse. Quand il venait à la Noiraude, il regardait son jeune ami Guillaume avec quelque pitié ; il s’apercevait parfaitement de ses airs d’adoration devant Madeleine, et ce spectacle d’un homme aux genoux d’une femme lui avait toujours paru monstrueux. D’ailleurs, les époux qui causaient peu et dont les visages gardaient une placidité relative, lui semblaient être les créatures les plus raisonnables qu’il eût encore rencontrées. Il les visitait avec plaisir. Sa victime, son sujet éternel d’observation et de moquerie amères, était sa propre femme.

Hélène de Rieu, qui l’accompagnait le plus souvent à la Noiraude, avait dépassé la quarantaine. C’était une petite personne ronde, d’un blond fade, qui prenait de l’embonpoint, à son grand désespoir. Imaginez une poupée d’enfant qui serait devenue vieille. Maniérée, adorant la puérilité, elle avait tout un arsenal de moues, de coups d’œil, de sourires ; elle jouait de son visage comme d’un instrument exquis dont l’harmonie céleste devait séduire tout le monde ; jamais elle ne laissait sa physionomie tranquille, baissant la tête d’une façon languissante, la relevant au ciel avec des feintes subites de passion et de poé-