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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/135

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vengeance que le hasard lui envoyait. Par moments, le visage glacé et grimaçant la tendresse du fils de l’ancien marchand de bestiaux, l’épouvantait presque lui-même. Il le traitait avec une grande cordialité, et paraissait le soigner comme un dogue qu’il aurait dressé à mordre les gens.

Madeleine, qui connaissait les amours de madame de Rieu, la regardait toujours avec une sorte d’étonnement. Comment cette femme pouvait-elle vivre paisible dans ses débauches ? Quand elle se posait cette question, elle croyait véritablement avoir affaire à un monstre, à une créature malade et exceptionnelle. C’est que Madeleine était un de ces tempéraments sains et froids qui ne sauraient accepter que les situations nettes. Si elle avait un instant mis les pieds dans la boue, c’était par hasard, et longtemps elle avait souffert de sa chute. Son orgueil n’aurait pu s’accommoder des secousses, des blessures de l’adultère ; il lui fallait un milieu d’estime et de paix, un air où elle marchât le front haut. Tandis qu’elle contemplait Hélène, elle songeait aux peurs qui devaient l’agiter, lorsqu’elle cachait un amant dans son lit. N’étant point passionnée, elle ne s’expliquait pas les charmes cuisants de la passion ; elle n’en voyait que les souffrances : l’effroi et la honte devant le mari, les baisers souvent cruels de l’amant, la vie troublée à chaque heure par les tendresses et les colères de ces deux hommes. Jamais sa nature franche n’aurait accepté une pareille existence de lâcheté et de mensonge ; elle se serait révoltée à la première angoisse. Les caractères mous, les corps faibles plient seuls sous les coups et finissent par se creuser dans l’anxiété elle-même un trou voluptueux où ils s’endorment volontiers. En regardant la face grasse et luisante d’Hélène, Madeleine pensait. « Si jamais je me livre à un autre homme que Guillaume, je me tuerai. »

Pendant quatre saisons, les visiteurs vinrent à la Noiraude. Le père de Tiburce retenait brutalement son fils à Véteuil, où il l’avait placé chez un avocat, et le jeune