Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/137

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d’un flot. La vaste pièce était toute frissonnante de ce murmure qui paraissait sortir de bouches invisibles, cachées au fond des ténèbres du plafond.

Certains soirs, Madeleine éprouvait de secrètes épouvantes, en saisissant au passage quelques lambeaux des lectures de Geneviève. Celle-ci choisissait de préférence les pages les plus sombres de l’Ancien Testament, des récits de sang et d’horreur qui l’exaltaient et donnaient à ses accents une sorte de fureur contenue. Elle parlait avec une implacable joie de la colère et de la jalousie du Dieu terrible, de ce Dieu des Prophètes, le seul qu’elle connût ; elle le montrait écrasant la terre de ses volontés, châtiant de son bras cruel les êtres et les choses. Quand elle arrivait à des versets de meurtre et d’incendie, elle ralentissait la voix, pour mieux goûter les terreurs de l’enfer, les éclats de la justice impitoyable du Ciel. Sa grande bible lui montrait toujours Israël prosterné et frissonnant aux pieds de son juge, et elle sentait courir dans sa chair le frémissement sacré qui secouait les Juifs, elle s’oubliait à pousser des sanglots étouffés, croyant recevoir sur les épaules des gouttes ardentes de la pluie de Sodome. Parfois, elle résumait ses lectures dans une parole sinistre ; elle condamnait ainsi que Jehova ; son fanatisme sans miséricorde jetait voluptueusement les pécheurs à l’abîme. Frapper les coupables, les tuer, les brûler, lui semblait une besogne sainte, car elle regardait Dieu comme un bourreau qui s’était donné la mission de fouailler le monde impie.

Cet esprit dur accablait Madeleine. Elle devenait toute pâle, elle qui avait une année de son existence à se faire pardonner. Le pardon était venu, elle se croyait absoute par l’amour et l’estime de Guillaume, et voilà qu’elle entendait au milieu de sa paix des paroles inexorables de châtiment. Dieu n’oubliait-il donc jamais les fautes ? devait-elle rester écrasée jusqu’à la mort sous le péché de sa jeunesse ? Aurait-elle à payer un jour sa dette de repentir ? Ces pensées tombant dans sa vie calme, lui fai-