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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/142

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qu’il était à table dans la maison du Pharisien, y apporta un vase d’albâtre, plein d’une huile odoriférante. Et se tenant derrière, aux pieds de Jésus, elle se mit à pleurer ; elle lui arrosait les pieds de ses larmes, et les essuyait avec ses cheveux ; elle lui baisait les pieds, et elle les oignait avec cette huile… »

Elle continua ainsi, élevant le ton, laissant tomber un à un les versets, lentement, comme des pleurs étouffés.

Madeleine, jusque-là, avait fait son possible pour ne pas l’entendre. Une soirée en tête-à-tête avec elle l’effrayait. Elle lisait elle-même un livre, au coin de la cheminée, s’enfonçant dans sa lecture, attendant Guillaume avec impatience. Les quelques mots qu’elle saisissait malgré elle de la psalmodie de Geneviève, lui causaient une sorte de malaise. Mais quand celle-ci commença l’histoire de la pécheresse repentante et pardonnée, elle leva la tête, elle écouta prise d’une émotion poignante.

Les versets tombaient un à un, et Madeleine croyait que la grande Bible parlait d’elle, de sa honte, de ses pleurs, de ses parfums de tendresse. Ce poëme de douleur et d’adoration n’était-il pas le sien ? Elle s’était agenouillée, et Guillaume lui avait pardonné. Une douceur ineffable la pénétrait peu à peu, à mesure que le récit se déroulait, comme coupé par des soupirs profonds, des soupirs de remords et d’espérance. Elle suivit phrase à phrase, attendant avec ferveur la dernière parole de Jésus. Enfin le ciel lui disait qu’il suffisait d’avoir beaucoup aimé, d’avoir beaucoup pleuré pour goûter la joie de la rédemption. Elle songea à sa vie passée, à sa liaison avec Jacques ; le souvenir de cet homme qui la brûlait encore parfois, ne lui causa plus qu’un attendrissement de repentir. Toutes les cendres de cet amour étaient froides, et un souffle de miséricorde venait de les emporter. Comme la Madeleine, dont elle portait le nom, elle pouvait vivre au désert, se purifiant dans son amour. C’était une suprême absolution qu’elle recevait. Si parfois, lorsque Geneviève lisait, il lui avait semblé entendre des bouches invisibles, cachées dans