Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/151

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dans ce port ; ce garçon l’ayant sauvé d’un mauvais pas, il se faisait un devoir d’aller veiller à son chevet.

Ces détails surprirent beaucoup Guillaume, qui croyait écouter une histoire des Mille et Une Nuits. Il ne se serait jamais imaginé que tant de faits pussent se passer en si peu de temps, lui dont la vie s’était endormie dans une seule pensée de calme et d’affection. Sa nature douce et oisive s’effrayait même un peu de cette multiplicité d’événements.

La causerie des deux amis continuait, joyeuse et cordiale.

— Comment ! s’écria Guillaume, pour la vingtième fois peut-être, tu ne me restes qu’un jour, tu arrives et tu pars de nouveau ?… Voyons, donne-moi une semaine.

— C’est impossible, répondit Jacques ; je me ferais un crime de laisser mon pauvre camarade seul à Toulon.

— Mais tu reviendras ?

— Certes, dans un mois, dans quinze jours, peut-être.

— Et pour ne plus repartir ?

— Pour ne plus repartir, mon cher Guillaume. Je serai à toi, tout à toi. Si tu le désires, je passerai ici la prochaine belle saison… En attendant, je reprendrai le chemin de fer demain soir. Tu as une journée, fais de moi ce qu’il te plaira.

Guillaume n’entendait pas ; il regardait son ami avec attendrissement, et paraissait caresser une rêverie heureuse.

— Écoute, Jacques, dit-il enfin, je fais un songe que tu peux réaliser : viens vivre avec nous. Cette maison est si vaste, que parfois nous y frissonnons de froid ; la moitié des chambres sont inhabitées, et ces pièces vides, qui m’épouvantaient jadis, me causent encore un vague malaise. Quand tu seras là, je sens que la Noiraude se trouvera toute peuplée. Tu prendras un étage entier si tu veux ; tu y vivras à ta guise, en garçon. Ce que je te demande, c’est ta présence, ce sont tes bons rires et tes franches poignées de main ; ce que je t’offre, c’est notre tranquille