Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/157

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moindres inflexions, la secouait étrangement. Elle suivait les phrases, se rappelant les gestes et les mouvements de tête dont le causeur devait les accompagner. La porte qui la séparait de son ancien amant, n’existait pas pour elle ; elle s’imaginait l’avoir devant les yeux, vivant, agissant, comme au temps de la rue Soufflot. La présence, le voisinage de cet homme lui causait une volupté amère ; sa gorge se serrait d’angoisse à ses gros rires, sa chair brûlait des fièvres qu’il lui avait fait connaître le premier. Elle était, avec une secrète horreur, attirée vers lui ; elle aurait voulu fuir, elle ne pouvait, elle goûtait une jouissance involontaire à le voir ressusciter. Plusieurs fois elle se baissa, d’un mouvement instinctif, cherchant à l’apercevoir par le trou de la serrure, pour le mieux reconnaître. Les quelques minutes qu’elle demeura ainsi, défaillante, appuyant les mains contre la porte, lui parurent une éternité de tourments. « Si je tombe, pensait-elle, ils viendront, et je mourrai de honte. » Certaines phrases de Jacques la frappèrent au cœur ; quand il déclara qu’on ne devait jamais épouser sa maîtresse, elle se mit à sangloter, étouffant ses larmes, craignant d’être entendue. Cette causerie, ces projets de bonheur qu’elle allait fouler aux pieds, ces confidences qui la blessaient au plus profond de son être, furent pour elle un supplice indicible. Elle saisissait à peine la voix douce de Guillaume ; elle n’avait dans les oreilles que cette voix grondante de Jacques qui éclatait terriblement au milieu de son ciel calme. Elle se sentait foudroyée.

Quand les deux amis allèrent jusqu’au pied de l’escalier, elle fit un suprême effort, en se disant qu’il fallait en finir. Après ce qu’elle venait d’entendre, il lui était impossible d’accepter jusqu’au lendemain une pareille situation. Sa nature droite se révoltait. Elle revint dans la salle à manger. Ses cheveux roux s’étaient dénoués ; son visage, horriblement pâle, avait de brusques contractions ; ses yeux dilatés semblaient des yeux ternes et fixes de