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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/167

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veau éclate, je suis incapable en ce moment de prendre un parti… Il ne doit passer ici qu’une journée. Quand il sera parti, nous aurons un mois devant nous pour retrouver et assurer notre bonheur.

Cette fuite qu’il lui proposait répugnait au sens droit de Madeleine. Elle comprenait que cela n’arrangerait rien et les laisserait tout aussi frissonnants.

— Il vaudrait mieux en finir, reprit-elle.

— Non, viens, je t’en prie, murmura Guillaume avec insistance… Nous irons coucher dans notre petite maison ; demain nous y passerons la journée, nous y attendrons son départ… Tu sais combien nous avons été heureux dans ce coin perdu ; l’air tiède de cette retraite nous apaisera ; nous oublierons, nous nous aimerons comme au temps où j’allais te voir en cachette… Si l’un de nous le voit, je sens que notre félicité est morte.

Madeleine fit un geste de résignation. Elle était toute secouée elle-même, et elle sentait son mari si affolé qu’elle n’osait plus exiger de lui une décision héroïque.

— Soit, dit-elle, partons… Allons où tu voudras.

Les époux regardèrent autour d’eux. Le feu était mort, la lampe ne répandait plus qu’une lueur vacillante et jaunâtre. Cette vaste salle, où ils avaient passé tant de chaudes soirées, s’étendait sombre, glaciale, lugubre. Au dehors, un grand vent s’était élevé, heurtant les fenêtres qui gémissaient. Il semblait que l’ouragan d’hiver passait dans la pièce, emportant avec lui toute la joie, toute la paix de la vieille demeure. Comme Guillaume et Madeleine se dirigeaient vers la porte, ils aperçurent dans l’ombre Geneviève, droite, immobile, qui les suivait de ses yeux luisants.

Pendant la longue scène de désespoir à laquelle elle venait d’assister, la vieille femme avait gardé son attitude rigide et implacable. Elle goûtait une volupté farouche à écouter ces sanglots et ces cris de la chair. La confession de Madeleine lui ouvrait un monde de désirs et de regrets, de jouissances et de douleurs qui n’avaient