Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/172

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se trouvait si complète qu’il leur fallut près d’une demi-heure pour parcourir ce chemin long au plus d’un quart de lieue. À deux reprises, ils se perdirent. Comme ils allaient arriver, une ondée les surprit, qui les mouilla et acheva de les aveugler. Ce fut ainsi qu’ils entrèrent dans leur retraite, fangeux, grelottants, écœurés par l’odeur de cette mer de boue qu’ils venaient de traverser.

Ils eurent toutes les peines du monde à allumer une bougie. Ils s’enfermèrent, ils montèrent dans la chambre à coucher, au premier étage. C’était là qu’ils avaient passé tant de nuits heureuses, là qu’ils comptaient retrouver le calme tiède de leurs amours. Quand ils eurent ouvert la porte de cette pièce, ils s’arrêtèrent, navrés ; ils avaient oublié, la veille, de fermer la fenêtre, et la pluie était entrée poussée par le vent ; au milieu, sur le parquet, s’étendait une grande mare d’eau. Ils durent éponger cette eau, mais le bois resta mouillé. L’hiver habitait cette chambre dans laquelle il pénétrait librement depuis la veille ; les murs, les meubles, les objets qui traînaient suaient l’humidité. Guillaume descendit chercher du bois. Lorsqu’un grand feu brûla sur les chenets, les époux espérèrent qu’ils allaient se réchauffer et s’apaiser dans l’air chaud et silencieux de leur solitude.

Ils laissaient toujours là quelques vêtements. Ils changèrent de linge, ils s’assirent devant la cheminée. L’idée de se coucher côte à côte, encore frémissants et terrifiés, dans la couche froide où ils avaient passé jadis des nuits si brûlantes de passion, leur causait une répugnance secrète. Quand trois heures sonnèrent :

— Je sens que je ne pourrais dormir, dit Guillaume. J’attendrai le jour dans ce fauteuil… Tu dois être lasse, couche-toi, Madeleine.

La jeune femme fit signe que non, d’un léger mouvement de tête. Ils retombèrent dans leur silence.

Au dehors la tempête soufflait, plus violente et plus âpre. Des coups de vent s’abattaient sur la maison avec des hurlements de bête, ébranlant les fenêtres et les por-