Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/177

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elle se servait de lui comme d’un instrument dont les soupirs amoureux lui rappelaient des mélodies connues ; il disparaissait pour elle, c’était avec l’absent qu’elle s’unissait en pensée, c’était envers lui qu’elle se montrait reconnaissante de tant d’heures voluptueuses. Cette comédie ignoble avait duré pendant quatre ans. Pendant quatre ans, il avait joué sans le savoir un rôle odieux ; il s’était laissé voler son cœur, voler sa chair. À ces pensées, à cette rêverie honteuse que le cauchemar faisait battre dans son crâne, il contemplait la nudité de la jeune femme avec un suprême dégoût ; il lui semblait apercevoir sur la gorge et sur les épaules blanches des taches immondes, des meurtrissures ineffaçables et toutes saignantes.

Madeleine tisonnait toujours. Sa face gardait sa rigidité impénétrable. Peu à peu, à chaque mouvement de son bras remuant la braise, le peignoir glissait davantage.

Guillaume ne pouvait détacher les yeux de ce corps qui se dépouillait par petites secousses, et qui se montrait dans son ampleur insolente et superbe. Il lui apparaissait largement impur. Chacun des mouvements du bras qui dessinaient les muscles gras de l’épaule, lui faisait l’effet d’un spasme lubrique. Jamais il n’avait tant souffert. Il pensait : « Je ne suis pas le seul à connaître ces fossettes qui se creusent au bas de son cou quand elle avance les mains. » L’idée d’avoir partagé cette femme avec un autre et de n’être venu que le second, lui était insupportable. Comme tous les tempéraments délicats et nerveux, il avait une jalousie raffinée qu’un rien blessait. Il exigeait une possession complète. Le passé l’épouvantait parce qu’il redoutait de trouver des rivaux dans les souvenirs, des rivaux secrets, insaisissables, contre lesquels il ne pouvait lutter. Son imagination l’emportait, rêvait alors des choses horribles. Pour comble de misère il fallait que le premier amant de Madeleine fût Jacques, son ami, son frère. C’était là ce qui le torturait. Il eût été simplement irrité contre un