Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre homme ; contre Jacques, il éprouvait un sentiment indéfinissable de révolte douloureuse et impuissante. L’ancienne liaison de sa femme avec celui qu’il avait regardé comme un dieu dans sa jeunesse, lui semblait une de ces grandes ignominies dont l’horreur confond la raison humaine. Il voyait là un inceste, un sacrilège. Il pardonnait à Jacques, tout en pleurant des larmes de sang ; il pensait à lui avec une terreur vague, comme à un être hors de sa portée qui l’avait blessé à mort sans le savoir, et auquel il ne rendrait jamais blessure pour blessure. Quant à Madeleine, au milieu de la surexcitation de ses mauvais rêves qui exagérait ses sensations les plus fugitives, elle lui semblait à jamais morte pour lui ; par un étrange déplacement de la réalité, il se disait qu’elle était la femme de Jacques et qu’il ne devait plus la toucher de ses lèvres. La seule pensée d’un baiser l’écœurait ; cette chair lui répugnait, elle lui paraissait appartenir à une créature qu’un désir de débauche pouvait seul jeter dans ses bras. Si la jeune femme l’eût appelé à elle, il aurait reculé comme pour éviter un crime. Et il continuait à s’oublier dans le spectacle poignant de sa nudité.

Madeleine laissa tomber le tisonnier. Elle se renversa dans le fauteuil, cachant son dos, découvrant sa poitrine. Elle garda son silence, sa face morne, et se mit à regarder, sans la voir, une coupe de bronze qui se trouvait sur un coin de la cheminée.

Mais, si Guillaume pardonnait à Jacques, ses blessures n’en restaient pas moins vives. Ses deux seules affections l’avaient trahi ; le hasard s’était plu à rendre ses cruautés plus aiguës en le souffletant à la fois dans toutes ses tendresses, en préparant de longue main, avec un raffinement inouï, le drame qui, à cette heure, lui broyait la chair et le cerveau. Maintenant il n’avait plus personne à aimer ; le lien fatal qui s’était noué jadis entre Jacques et Madeleine, lui paraissait si solide, si vivant, qu’il les accusait d’adultère, comme s’ils se fussent, la veille encore, livrés l’un à l’autre. Il les chassait avec indignation de sa