Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/180

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les jambes, ils sentaient des souffles glacés leur courir sur les épaules. Au-dehors, l’ouragan s’apaisait avec des lamentations adoucies et prolongées, pareilles à des hurlements plaintifs de bête souffrante. Ce fut une nuit sans fin, une de ces nuits de mauvais rêves où l’on souhaite âprement une aube qui semble ne jamais devoir se lever.

Le jour vint, un jour sale, crapuleux. Il grandit avec une lenteur morne. Les vitres de la fenêtre se tachèrent d’abord d’une lueur fumeuse de brouillard ; puis la chambre s’emplit peu à peu comme d’une vapeur jaunâtre, qui enveloppa les meubles sans les éclairer ; cette vapeur décolorait, ternissait les tentures bleues de la pièce, et l’on eût dit qu’un flot de boue coulait sur le tapis. La bougie, presque terminée, pâlissait au milieu de cette buée épaisse.

Guillaume se leva, s’approcha de la fenêtre. La campagne s’étendait, ignoble, écœurante. Le vent était complètement tombé, la pluie elle-même cessait. La plaine se trouvait transformée en un véritable lac de fange, et le ciel, couvert de nuages bas et rampants, avait la même teinte grise que la plaine. C’était comme un immense trou blafard dans lequel les arbres souillés, les maisons noircies, les coteaux amollis, creusés par les eaux, traînaient, pareils à des débris sans nom. Il semblait qu’une main furieuse eût pétri l’horizon entier, en eût fait un immonde mélange d’eau pourrie et d’argile brune. Le jour terne qui agonisait sur cette immensité boueuse, avait une clarté louche, sans reflet, dont la teinte sale faisait monter le dégoût à la gorge.

Cette heure trouble d’une matinée d’hiver est poignante pour les gens qui ont veillé toute la nuit. Guillaume regardait l’horizon sale avec un hébétement douloureux. Il avait froid, il s’éveillait, il éprouvait un malaise de chair et d’esprit. Il lui semblait qu’on venait de le rouer de coups et qu’il reprenait à peine connaissance. Madeleine, frissonnante comme lui, lasse et brisée, vint aussi regar-