Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/181

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der la campagne. Elle laissa échapper un geste d’écœurement, en la voyant si fangeuse.

— Que de boue ! murmura-t-elle.

— Il a beaucoup plu, fit remarquer Guillaume sans trop savoir ce qu’il disait.

Au bout d’un silence, comme ils restaient toujours devant la fenêtre :

— Vois donc, reprit la jeune femme, le vent a brisé un arbre de notre jardin… La terre des plates-bandes a coulé dans les allées… On dirait un cimetière.

— C’est la pluie qui a tout dévasté, répéta son mari de sa voix monotone.

Ils laissèrent retomber les petits rideaux de mousseline qu’ils tenaient soulevés, ne pouvant supporter davantage la vue d’un pareil cloaque. Ils eurent un brusque frisson et se rapprochèrent du feu. Le jour avait grandi, leur chambre leur apparut désolée, toute salie par les clartés louches du dehors. Jamais ils ne l’avaient vue pleine d’une telle tristesse. Leur cœur se serra, ils comprirent que ce sentiment de dégoût et d’ennui qui traînait autour d’eux, ne venait pas seulement du ciel morne, mais aussi de leur propre misère, de l’écroulement brusque de leur bonheur. L’avenir sombre rendait amer le présent et gâtait les douceurs du passé. Ils pensèrent : « Nous avons eu tort de venir ici ; nous aurions dû nous réfugier dans quelque chambre inconnue où nous n’aurions pas trouvé, vivant et cruel, le souvenir de nos anciennes amours. Si cette couche où nous avons dormi, si ces fauteuils où nous nous sommes assis, ne nous paraissent plus avoir les tiédeurs de jadis, c’est que nos corps eux-mêmes les glacent. Tout est mort en nous. »

Cependant ils se calmaient. Madeleine s’était couvert les épaules. Guillaume sortait de ses cauchemars pour revenir à une appréciation plus calme de la vie réelle. Dans ses mauvais rêves, secoué par la fièvre de ce demi-sommeil qui hallucine les moindres souffrances, il s’était perdu au fond de pensées monstrueuses, dépassant le