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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/184

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descendit à sa rencontre pour la débarrasser des boîtes à lait et du pain dont elle était chargée. La petite Lucie portait elle-même un large morceau de galette qu’elle serrait de toutes ses forces sur sa poitrine.

L’enfant avait alors trois ans et demi. Elle était très grande pour son âge ; ses membres gros et courts en faisaient une fille des champs, poussée librement en plein air. Blonde comme sa mère, elle souriait avec des grâces puériles, et son sourire adoucissait sa face un peu forte. D’une intelligence précoce, elle babillait des journées entières, singeant déjà les grandes personnes, trouvant des demandes et des questions qui faisaient rire aux larmes ses parents. Quand elle aperçut son père au bas de l’escalier, elle lui cria :

— Prends-moi, monte-moi.

Elle ne voulait pas lâcher sa galette, et n’osait s’aventurer à gravir les marches sans se tenir à la rampe. Guillaume la prit sur un de ses bras, heureux de la porter, lui souriant, la couvant des yeux. Ce petit corps tiède qui s’appuyait contre son épaule, le réchauffait jusqu’au cœur.

— Imagine-toi que cette demoiselle n’était pas levée, dit Madeleine, et qu’il a fallu un grand quart d’heure pour la décider à me suivre. On lui avait promis, disait-elle, de lui faire cuire des pommes, ce matin. J’ai dû en mettre deux dans ma poche, en lui jurant de les lui faire cuire ici devant le brasier du foyer.

— C’est moi qui les ferai rôtir, reprit Lucie ; je sais très bien comment on s’y prend.

Dès que son père l’eut posée sur le tapis, dans la chambre, elle tourna autour de Madeleine jusqu’à ce qu’elle eût réussi à fourrer la main au fond de la poche de sa jupe. Quand elle tint les deux pommes, elle les piqua avec la pointe d’un couteau et s’accroupit gravement devant le feu. Elle écarta la cendre, plaça les fruits sur la plaque de marbre, puis se recueillit, ne les quittant plus des yeux. Elle avait posé son grand morceau de galette sur ses genoux.