Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/185

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Guillaume et Madeleine souriaient en la regardant. Elle faisait des mines de ménagère pressée qui les amusaient. Ils avaient tant besoin de se reposer de leurs secousses de chair dans la puérilité innocente de cette enfant ! Ils auraient joué avec elle pour oublier, pour se croire encore petits et naïfs eux-mêmes. Le calme enfantin de Lucie, la senteur fraîche qui s’échappait d’elle, les attendrissaient, mettaient autour d’eux un calme souverain. Et ils espéraient, ils se disaient que l’avenir serait paisible et pur ; l’avenir, c’était cette chère créature, ce bon ange de paix et de pureté.

Ils s’étaient assis devant le guéridon. Ils mangèrent de fort bon appétit. Ils osèrent même parler du lendemain, faisant des projets, voyant déjà leur fille grandie, mariée, heureuse. Le souvenir de Jacques avait été chassé par l’enfant.

— Tes pommes brûlent, dit Madeleine en riant.

— Oh ! que non ! répondit Lucie… Je vais faire chauffer ma galette.

Elle avait levé la tête, elle regardait sa mère d’un air sérieux qui vieillissait sa physionomie. Quand elle ne souriait pas, ses lèvres devenaient fermes, presque dures, ses sourcils se fronçaient légèrement. Guillaume la contemplait. Peu à peu, il pâlit, il l’examina avec une terreur croissante.

— Qu’as-tu donc ? lui demanda Madeleine d’une voix inquiète.

— Rien, répondit-il.

Et il contemplait toujours Lucie, ne pouvant en détacher ses regards, se penchant en arrière dans son fauteuil, comme pour échapper à un spectacle qui l’épouvantait. Son visage exprimait une souffrance contenue, atroce. Il eut même un geste vague de la main, un geste qui cherchait à écarter l’enfant. Madeleine, effrayée de sa pâleur, ne pouvant comprendre ce qui le secouait ainsi, repoussa le guéridon et vint s’asseoir sur le bras de son fauteuil.