Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Réponds-moi, dit-elle. Qu’as-tu ? Nous étions si tranquilles… Tu souriais tout à l’heure… Voyons, Guillaume, je croyais que notre bonheur était revenu, que nous recommencions une nouvelle existence… Avoue-moi les mauvaises pensées qui te viennent à l’esprit. Je les dissiperai, je te guérirai. Je veux que tu sois heureux.

Il hocha la tête, il frissonna.

— Regarde donc Lucie, dit-il d’une voix très basse, comme s’il avait eu peur que quelqu’un ne l’entendît.

L’enfant, toujours assise sur le tapis, devant la cheminée, présentait gravement à la flamme sa galette piquée au bout d’une fourchette. Ses lèvres se pinçaient, ses sourcils se fronçaient ; elle était toute à l’importance de sa besogne.

— Eh bien ? demanda Madeleine.

— Tu ne vois pas ? reprit Guillaume d’un accent de plus en plus altéré.

— Je ne vois rien.

Alors le jeune homme se cacha le visage entre les mains. Il pleurait. Puis il parut faire un effort et balbutia :

— Elle ressemble à Jacques.

Madeleine tressaillit. Ses yeux, grands de folie, se fixèrent sur sa fille avec une anxiété qui faisait trembler tout son corps. Guillaume avait raison : Lucie ressemblait vaguement à Jacques, et cette ressemblance devenait frappante lorsque l’enfant plissait la bouche et le front. L’ancien chirurgien avait d’ordinaire cette moue d’homme positif. La jeune femme ne voulut pas convenir sur le moment de cette terrible vérité.

— Tu te trompes, murmura-t-elle. Lucie me ressemble. Nous nous serions déjà aperçus de ce que tu dis, si cela existait réellement.

Elle évitait de nommer Jacques. Mais Guillaume la sentait frissonner à côté de lui. Il reprit :

— Non, non, je ne me trompe pas. Tu le sais bien…