Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/190

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Sa mère la promena de long en large. Elle chercha à l’apaiser, lui disant que ce n’était rien, que c’était guéri, et elle l’embrassait bruyamment sur les joues.

Guillaume éprouvait un regret cuisant de sa brutalité. Dès qu’il avait vu chanceler Lucie, il s’était mis lui-même à sangloter de honte et de douleur. Voilà qu’il tuait les enfants maintenant ! Sa nature douce s’indignait, il sentait plus vivement les souffrances qui le rendaient ainsi brusque et violent. Quand il songeait que la tête de la petite fille aurait pu se heurter au guéridon, il restait glacé du frisson froid des assassins. Et cependant les pleurs de Lucie l’irritaient, les baisers de Madeleine lui semblaient monstrueux. L’idée lui vint qu’elle devait croire embrasser Jacques en embrassant sa fille. Alors, défaillant, brisé par cette dernière supposition, il alla se jeter sur le lit ; il cacha sa tête dans un oreiller pour ne plus voir, pour ne plus entendre. Il resta là immobile, écrasé. Mais il ne dormait pas. Malgré lui, il entendait les pas de Madeleine. Dans la nuit pleine d’éclairs de ses paupières closes, il apercevait toujours la moue de Lucie, ses lèvres fermes et ses sourcils froncés. Jamais il n’oserait plus embrasser cette face d’enfant, qui avait par moments une gravité d’homme ; jamais il ne pourrait, sans souffrir horriblement, voir sa femme caresser cette tête blonde. Il n’avait plus de fille, plus de lien vivant qui l’attachât à Madeleine. Son dernier espoir de salut se changeait en une douleur suprême. Désormais il serait ridicule de tenter encore le bonheur. Ces pensées battaient comme un glas de mort dans son cerveau détraqué par l’angoisse. Le désespoir fatigua sa chair. Il s’endormit.

Quand il se réveilla, il faisait nuit noire. Il se souleva, endolori ne sachant plus ce qui avait pu lui briser ainsi le corps. Puis il se souvint. Il souffrit de nouveau mais d’une souffrance lourde. La crise était passée, il n’éprouvait plus qu’un accablement muet et sans espoir. Il n’y avait pas de bougie allumée, les clartés jaunes du foyer éclairaient seules la chambre où traînaient de larges ombres.