Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/194

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jeune femme se mêler aux siennes. Que de promenades joyeuses ils avaient faites dans ce cabriolet dont les cahots les amusaient fort en les jetant l’un contre l’autre ! Cette nuit-là, la voiture roulait sur la route avec des chocs monotones ; dans le grand silence des champs glacés, les époux n’entendaient que le trot régulier du cheval frappant de ses sabots la terre durcie, avec des bruits métalliques. Sur le sol, blanc d’une poussière de gelée, les lanternes allongeaient deux rayons jaunes qui couraient en avant avec des sauts brusques, le long des fossés, et ces rayons, traversant la campagne claire, pâlissaient sous la lune comme des lueurs de bougies allumées dans le crépuscule.

Guillaume et Madeleine avaient tiré sur leurs genoux une grosse couverture de laine grise. Lui, conduisait sans parler, jetant seulement de temps à autre une petite exclamation qui faisait dresser les oreilles au cheval. Elle, paraissait dormir dans son coin. Enveloppée de fourrures, les pieds tenus chauds par la couverture de laine, les mains cachées, elle n’avait froid qu’au visage ; d’ailleurs, l’air vif qui lui piquait les yeux et les lèvres, ne lui déplaisait pas ; il la tenait éveillée et rafraîchissait son front brûlant. Elle regardait machinalement les clartés des lanternes courant rapidement sur la route. Son esprit s’égarait dans une rêverie qui avait les sauts brusques de ces clartés. Elle s’étonnait profondément des scènes qui venaient de se passer. Comment avait-elle pu s’affoler ainsi ? Elle vivait d’ordinaire avec des volontés droites et fortes, son imagination restait froide, ses sens la laissaient paisible. Une minute de raison aurait peut-être suffi pour tout arranger, et elle était devenue folle tout d’un coup, elle si raisonnable. Certes, Jacques devait être la cause de son effarement soudain ; mais elle n’aimait plus Jacques ; elle ne pouvait comprendre pourquoi elle le retrouvait si vivant dans sa chair, pourquoi sa résurrection l’avait détraquée à ce point. Elle cherchait des explications, allant d’un fait à un autre, se perdant dans les apparentes