Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/197

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l’aurait affolée ; elle se serait plutôt jetée tout de suite sous les roues de la voiture, terrifiée à l’idée des atroces souffrances qui l’attendaient : elle traînerait misérablement son corps esclave ; elle sentirait toujours en elle le sang détesté de Jacques ; elle ne pourrait plus s’oublier entre les bras aimés de Guillaume, sans croire se prostituer. D’ailleurs, elle ignorait les fatalités de chair qui lient parfois une vierge à son premier amant, d’une façon si étroite, qu’elle ne saurait ensuite rompre ce mariage de hasard, et qu’il faut accepter pour la vie l’époux d’une heure, sous peine de ne plus commettre qu’un long adultère. Afin de se tranquilliser, elle songeait aux quatre années de tendresse paisible qu’elle venait de vivre. Mais elle comprenait que Jacques n’était jamais sorti d’elle, il dormait simplement au fond de sa poitrine, une seconde avait suffi pour l’y réveiller vivant et fort. Là se trouvait la cause du soudain effarement de Madeleine, de cette créature calme et énergique. Jacques seul pouvait troubler sa raison droite, ses sens qui se taisaient d’ordinaire ; il lui tenait aux entrailles ; le son de sa voix, son simple souvenir la jetaient dans une vive surexcitation. Quand il s’était dressé devant elle, elle avait perdu la tête ; elle devait la perdre de nouveau chaque fois qu’elle le sentirait s’agiter dans sa chair. Cette intuition, que sa paix ne lui appartenait plus, l’effrayait singulièrement ; elle qui se plaisait dans la tranquillité de sa nature froide, songeait avec effroi et dégoût à ses frissons de la veille, et se désespérait en pensant que ces frissons la brûleraient peut-être encore, si jamais elle rencontrait Jacques. Les épileptiques n’éprouvent pas une épouvante plus écœurée à l’idée des crises qui les menacent. Elle était comme eux, morne, glacée, toujours sous le coup de convulsions ignobles.

Madeleine, affaissée dans le coin du cabriolet, regardant courir sur la route blanche les lueurs jaunes des lanternes, ne se disait pas ces pensées crûment. Elle évitait au contraire de se faire une certitude. Son esprit s’égarait dans