Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/198

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des questions qu’elle ne voulait pas résoudre. Elle était lasse ; elle remettait à plus tard son examen de conscience ; alors elle prendrait des mesures énergiques, elle lutterait. Elle songeait uniquement à ces choses parce qu’elle ne pouvait s’empêcher d’y songer. C’était une rêverie vague, brusque, que berçaient rudement les cahots de la voiture. La jeune femme avait chaud aux pieds et aux mains ; elle s’enfonçait, à son insu, dans les tiédeurs de la couverture de laine grise et dans la mollesse des coussins du cabriolet. Elle se serait heureusement endormie, sans l’air vif qui lui piquait les lèvres et les yeux. Et quand elle regardait devant elle, au-dessus des oreilles du cheval, elle apercevait la campagne rigide et glacée qui s’allongeait avec des sécheresses de cadavre sous le suaire blanc de la lune. Ces roideurs des horizons morts lui faisaient rêver alors les alors les douceurs d’une immobilité éternelle.

Guillaume croyait que Madeleine dormait. Il conduisait machinalement, écoutant le silence de la nuit, heureux de se trouver sur cette route déserte, dans ce froid sec qui calmait sa fièvre. Depuis Véteuil, il songeait à la phrase de Jacques : « On ne doit jamais épouser sa maîtresse. » Cette phrase s’était éveillée au fond de sa mémoire, sans qu’il sût pourquoi, et elle s’imposait à lui avec une singulière ténacité. Il la discutait, la retournait, s’en trouvait secrètement effrayé, tout en refusant de la considérer comme une règle nécessaire de conduite.

Jamais il n’avait eu l’idée sotte de travailler à la rédemption d’une pécheresse. En épousant Madeleine, il ne rêvait nullement de la réhabiliter, de lui refaire, comme on dit, une virginité à l’aide de son estime et de son amour. Il l’épousait parce qu’il l’aimait, simplement. Il était d’une nature trop nerveuse, il obéissait à ses affections avec trop de jouissance exquise, pour s’égarer dans des considérations ridicules de moraliste. Son cœur le poussait, sa raison ne lui créait pas une tâche que ses abandons complets de chair et d’esprit lui auraient d’ailleurs empêché d’accomplir. Certes, il regrettait le passé de son