Aller au contenu

Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
MADELEINE FÉRAT

tite fille dans l’ombre fraîche, dans le silence frissonnant des arbres. Ses sourires éclairaient sa face entière et mettaient des transparences lumineuses dans ses yeux gris ; les grâces enfantines de ses joues et de ses lèvres adoucissaient les lignes dures de son front. Elle allait, puis revenait, en laissant échapper des éclats de gaieté, tenant ses jupes à poignée, faisant un grand bruit d’étoffes froissées et laissant derrière elle un vague parfum de violette. Guillaume la regardait avec béatitude ; il avait oublié la femme froide et orgueilleuse, il se sentait à l’aise, il s’abandonnait à ses tendresses pour cette grande enfant qui s’enfuyait en l’appelant, et qui, tout d’un coup, se tournait, accourait se pendre à son épaule, lasse, caressante.

À un endroit, le chemin a coupé une butte de sable, le sol est couvert d’une fine poudre dans laquelle le pied enfonce. Madeleine prit plaisir à choisir les places les plus molles. Elle poussait de petits cris aigus en sentant ses bottines disparaître. Elle s’efforçait de faire de grandes enjambées, et elle riait de ne pouvoir avancer, retenue par le terrain mouvant. Une fille de douze ans aurait joué ainsi.

Puis le chemin monte avec des brusques détours, entre des buttes boisées. Ce bout du vallon a un aspect solitaire et sauvage qui surprend au sortir des frais ombrages d’Aulnay ; quelques rochers percent la terre, les herbes des talus sont roussies par le soleil, de grandes ronces traînent dans les fossés. Madeleine vint prendre en silence le bras de Guillaume ; elle était lasse, elle éprouvait un sentiment indéfinissable sur cette route pierreuse et déserte, d’où l’on ne voyait pas une maison, et qui tournait dans une sorte de trou sinistre.

Encore frissonnante de ses jeux et de ses rires, elle s’abandonnait. Guillaume sentait son bras tiède presser le sien. À ce moment, il comprit que cette femme lui appartenait, qu’il y avait en elle, sous l'implacable énergie du cerveau, un cœur faible ayant des besoins de caresses.