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MADELEINE FÉRAT

Quand elle levait les yeux vers lui, elle le regardait avec une humilité tendre, avec des sourires humides. Elle se faisait souple, coquette ; elle avait l’air de quêter l’amour du jeune homme comme une pauvre honteuse. La fatigue, les voluptés des ombrages, le réveil de sa jeunesse, le lieu sauvage qu’elle traversait, tout mettait dans son être une émotion amoureuse, une de ces langueurs des sens qui font tomber aux bras d’un homme les femmes les plus fières.

Guillaume et Madeleine montaient à petits pas. Parfois le pied de la jeune femme glissait sur une pierre, et elle se retenait à l’épaule de son compagnon. C’était autant de caresses, ni l’un ni l’autre ne s’y trompait. Ils ne parlaient plus, ils se contentaient d’échanger des sourires. Ce langage leur suffisait pour traduire l’unique sentiment qui emplissait leur cœur. Le visage de Madeleine était adorable sous l’ombrelle ; il avait une pâleur tendre, avec des ombres d’un gris argenté ; autour de la bouche, des lueurs roses couraient, et il y avait là, au coin des lèvres, du côté de Guillaume, un petit réseau de veines bleuâtres d’une telle délicatesse qu’il prenait à ce dernier des envies folles de poser un baiser à cette place. Il était timide, il hésita jusqu’au haut de la montée. Là, en voyant tout d’un coup le plateau s’étendre devant eux, il sembla aux jeunes gens qu’ils n’étaient plus cachés. Bien que la campagne fût déserte, ils eurent peur de cette large étendue. Ils se séparèrent, inquiets, embarrassés de nouveau.

La route suit le bord de la hauteur. À gauche se trouvent des carrés de fraisiers, des champs de blé immenses et nus, qui se perdent à l’horizon, plantés d’arbres rares. Au fond, le bois de Verrières fait une ligne noire qui semble border le ciel d’un ruban de deuil. Des pentes se creusent à droite, découvrant plusieurs lieues de pays ; ce sont d’abord des terrains noirs et bruns, des masses puissantes de feuillage ; puis les teintes et les lignes deviennent vagues, le paysage se perd dans un air bleuâtre, terminé par des collines basses dont le violet pâle se fond avec le