Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/210

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pénétrante. Il était dans une de ces heures de réaction où le cœur se vide après être resté longtemps fermé. Comme il le disait, il aimait la solitude, parce qu’il pouvait y être faible à son aise. Si Madeleine lui avait alors rendu son regard d’adoration, il eût poussé peut-être ses lâchetés d’amour jusqu’à s’agenouiller devant elle. Il goûtait une jouissance étrange, après ses angoisses de la veille, à s’abandonner aux bras de cette femme, loin de tous les yeux. Ce rêve qu’il faisait, de s’absorber à jamais dans elle, d’oublier le reste du monde sur son sein, ce songe d’une existence d’affection et de sommeil était le cri éternel de ses délicatesses nerveuses blessées à chaque instant par les rudesses de la vie.

Lentement, Madeleine se sentait soulagée par le murmure de tendresse, par les étreintes chaudes de Guillaume. Ses yeux gris s’éclairaient, ses lèvres s’ouvraient et devenaient roses. Elle ne souriait pas encore. Elle éprouvait simplement une grande douceur à se voir aimée d’une façon si absolue. Elle cessa de contempler le feu. Elle tourna la tête du côté de son mari.

Quand celui-ci eut rencontré ses regards, il reprit avec un attendrissement plus grand :

— Si tu voulais, Madeleine, nous nous en irions ainsi par les chemins, voyageant au jour le jour, couchant où le hasard nous pousserait, et repartant le lendemain pour l’inconnu. Nous quitterions la France, nous gagnerions à petites journées les pays de soleil et d’air pur. Et, dans ce renouvellement continuel des horizons, nous nous sentirions plus seuls, plus unis. Personne ne nous connaîtrait, pas un être n’aurait le droit de nous adresser la parole. Nous ne dormirions jamais qu’une nuit dans les auberges trouvées au bord des routes ; nos amours ne pourraient s’y fixer, nous nous détacherions bientôt du monde entier pour ne plus nous attacher que l’un à l’autre. Je rêve l’exil, Madeleine, l’exil qu’il me serait permis de vivre sur ton sein ; je désirerais n’emporter que toi, me sentir battu par le vent, me faire un oreiller de ta poitrine, là où la tem-