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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/209

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passant, je me sentais triste, triste à mourir, mais d’une tristesse qui me plaisait, qui me retenait là pendant des heures. Et je suis ici avec toi, Madeleine, comme j’étais autrefois seul au milieu des champs… Retrouve ton sourire, ton bon sourire.

Elle hocha de nouveau la tête, passant la main sur son front, comme pour écarter les inquiétudes sourdes qui la tenaient ainsi froide et abattue. Guillaume poursuivit :

— J’ai toujours eu la haine et l’effroi du monde. Le monde ne peut que nous blesser. En partant de Véteuil, j’avais l’intention d’aller étourdir nos souffrances dans le tapage de Paris ; mais combien le calme de cette solitude est plus salutaire !… Il n’y a que deux êtres qui s’aiment, dans cette chambre. Vois, je te tiens entre mes bras, je puis tout oublier, tout pardonner. Personne n’est là dont les regards moqueurs m’empêchent de te serrer sur ma poitrine, personne qui raille l’abandon que je te fais de mon être entier. Je veux que nous nous adorions plus loin et plus haut, au-dessus des amours vulgaires et convenues de la foule, dans une tendresse absolue qui n’ait point le souci des misères et des hontes d’ici-bas. Que nous importe le passé, et pourquoi nous inquiéter des blessures du dehors ! Il suffit que nous nous aimions, que nous demeurions au cou l’un de l’autre, perdus en nous-mêmes, sans jamais voir ce qui se passe autour de nous. Tant qu’il restera un coin où nous puissions nous cacher, il nous sera permis de chercher et de trouver le bonheur. Disons-nous que nous ne connaissons plus un être, que nous sommes seuls sur la terre, sans famille, sans enfant, sans amis, et abîmons-nous dans la pensée de notre affection solitaire. Il n’y a plus que nous au monde, Madeleine, et je me livre à toi ; je suis heureux d’être faible, de te dire que je t’aime encore… Tu as désolé ma vie, et je t’aime, Madeleine…

Il s’animait peu à peu en parlant. Sa voix, basse et ardente, avait des ferveurs de prière ; elle se traînait avec des humilités subites, puis vibrait d’une façon douce,