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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/218

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laisser échapper aucun détail. Mais lorsqu’elle eut touché les rideaux de cotonnade bleue à bordure de fleurs pâles, qu’un bâton tenait suspendus au-dessus du lit, elle sentit ses jambes fléchir tout à coup, elle dut s’asseoir. Maintenant sa pensée se fixait à cette couche étroite, bombée au milieu comme une pierre blanche de tombe. Elle se disait que jamais elle ne consentirait à coucher là avec Guillaume.

Elle se prit le front entre les mains, croyant que son cerveau allait éclater. Une rage sourde montait en elle. L’acharnement que les souvenirs mettaient à la poursuivre et à la frapper, l’exaspérait. Ne pourrait-elle donc plus dormir une nuit tranquille, ne lui serait-il plus permis d’oublier ? Jacques l’atteignait jusque dans l’inconnu, jusque dans cette chambre d’auberge où le hasard venait de la pousser. Et elle avait eu la sottise d’espérer, de prétendre qu’elle se sentait apaisée et guérie. Elle aurait plutôt dû écouter son épouvante, son malaise qui l’avertissait du coup dont elle était menacée. Cette fois, elle en sortirait folle. Qu’allait-elle dire à son mari, à cet homme dont les paroles tendres la berçaient d’un rêve menteur quelques minutes auparavant ? Aurait-elle le courage de lui crier : « Viens, tu t’es trompé, cette chambre est maudite, je l’ai habitée avec mon premier amant ! » Ou bien se tairait-elle, accepterait-elle de se prostituer entre les bras de Guillaume, en songeant à Jacques ? Dans son anxiété, elle regardait la porte, elle écoutait les bruits vagues de la maison, redoutant d’entendre les pas de son mari, frissonnant à l’idée de le voir entrer et de ne savoir que lui dire.

Comme elle prêtait l’oreille il lui sembla que quelqu’un marchait doucement dans le couloir et s’arrêtait à sa porte. On frappa d’une façon discrète.

— Entrez, cria-t-elle machinalement, troublée, ne sachant ce qu’elle disait.

Ce fut Jacques qui entra.