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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/225

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ment. Elle se disait qu’il allait s’en aller et qu’elle réfléchirait ensuite. Dans son effarement, la pensée que son mari pouvait remonter d’un moment à l’autre, ne lui venait même plus à l’esprit.

— Ah ! dit-il un peu décontenancé, tu ne fais rien. Mon Dieu ! que tu es froide ! Moi qui croyais que tu allais me sauter au cou… Tu l’aimes donc ?

— Oui.

— Tant mieux ! Je déteste les gens qui ont le cœur vide… Et il y a longtemps que tu es avec lui ?

— Cinq ans.

— Diable ! voilà un amour sérieux… Ce n’est pas le gros Raoul bien sûr ?… Georges alors ? Non ?… Ah ! peut-être le petit blond Julien Durand ? Pas davantage ?… C’est donc quelqu’un que je ne connais pas ?

Elle pâlit encore, elle eut un frémissement qui fit passer sur sa face une expression d’indicible souffrance. Jacques pensa qu’elle croyait entendre les pas de son amant.

— Eh ! ne frissonne pas ainsi, reprit-il, je t’ai promis de me sauver dès qu’il reviendrait. Cela me fait plaisir de causer un peu avec toi… Alors tu ne vois plus du tout les garçons que je viens de nommer ?

— Non.

— C’étaient de bons enfants, des camarades d’un jour auxquels j’ai parfois songé, loin de la France… Te rappelles-tu les joyeuses journées que nous avons passées avec eux ? Nous partions le matin pour le bois de Verrières, nous en revenions le soir, chargés de branches de lilas. Je me souviens encore des énormes saladiers de fraises que nous mangions, surtout de la petite chambre où nous avons couché si souvent : dès cinq heures, j’ouvrais les volets et le soleil t’éveillait en te frappant sur les yeux… J’avais toujours pensé qu’un de mes excellents amis devait avoir pris ma place dans ton cœur.

Madeleine fit un geste suppliant. Mais Jacques finissait