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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/227

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— Je suis un farceur, moi, continua-t-il, j’aime un peu partout, sans grande délicatesse. Et cependant j’entends encore ce lit, ces meubles, cette chambre entière me parler de toi… Souviens-toi, Madeleine.

Les pensées qu’il évoquait, firent de nouveau luire un désir dans ses regards.

— Voyons, dit-il en se rapprochant, une seule poignée de main, et je m’en vais.

— Non, non, répéta la jeune femme affolée.

Il la tint quelques secondes frissonnante devant lui, haussa les épaules et sortit. Il s’en alla en la traitant de sotte. Son court regret d’être venu et de s’être montré peut-être un peu brutal, s’était noyé dans une sourde irritation contre cette ancienne maîtresse qui refusait même de lui serrer la main. S’il avait eu un éclair de sensiblerie, en montrant la chambre, cette émotion tendre venait d’une jalousie vague qu’il eût rougi d’avouer franchement.

Madeleine, restée seule, se mit à tourner dans la pièce, machinalement, changeant les paquets de place, sans trop savoir ce qu’elle faisait. Il y avait en elle une sorte de clameur assourdissante qui lui empêchait d’entendre ses pensées. Elle eut un instant l’idée de courir après Jacques pour lui conter son mariage avec Guillaume ; elle croyait, maintenant qu’elle ne le voyait plus devant elle, se sentir la force d’un pareil aveu. D’ailleurs, elle n’était pas poussée à cet acte de courage par la pensée de venir en aide à son mari, de lui assurer un avenir paisible ; elle ne songeait qu’à elle, elle se révoltait à la fin sous le mépris familier et rieur de son premier amant, elle voulait lui montrer qu’elle vivait en honnête femme et qu’on devait la respecter. Cette rébellion de son orgueil lui cachait la situation vraie ; elle ne se demandait plus ce qu’elle allait dire à Guillaume quand il remonterait. Exaspérée par l’acharnement des faits à la frapper, elle trouvait simplement en elle de la colère, un besoin égoïste de se soulager d’une façon immédiate et violente.