Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/230

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Demain tu peux être aussi misérable que je le suis aujourd’hui.

Chacune de ces paroles blessait Madeleine, l’irritait davantage. Tout son passé se dressait devant elle, elle se disait que cette femme avait raison, qu’elle aurait pu tomber à ce degré d’infamie.

— Vous vous trompez, reprit-elle violemment. Je suis mariée… Laissez-moi.

Mais la folle continuait à s’exclamer :

— Tu as une vraie chance. Ce n’est pas à moi que ces choses-là arrivent… Quand je t’ai vue en voiture avec un homme, j’ai cru que tu avais mis la main sur un millionnaire… Alors c’est ton mari, ce monsieur qui m’a jeté une pièce de cent sous ?

Madeleine ne répondit pas ; elle souffrait horriblement. Cependant Vert-de-Gris faisait des efforts pour réfléchir et discuter un scrupule qui venait de la prendre. Elle fouilla enfin dans une de ses poches.

— Attends, balbutia-t-elle, je vais te rendre tes cent sous… L’argent d’un mari, c’est sacré… Je pensais que ce monsieur était ton amant, et il n’y avait pas de mal, n’est-ce pas ? à accepter cent sous de l’amant d’une ancienne amie.

La jeune femme fit un geste de refus.

— Gardez cet argent, dit-elle, c’est moi qui vous le donne… Que me voulez-vous encore ?

– Moi, rien, répondit Louise d’un air hébété.

Puis elle se souvint, elle se remit à ricaner.

— Ah ! si, cria-t-elle, je me rappelle maintenant… Mais, vraiment, tu n’es pas gentille, Madeleine. Je n’ai pas la tête forte, et tu me troubles avec tes grands airs. Je voulais causer, rire un peu, parler du bon temps… Cela m’a fait bien plaisir, lorsque je t’ai reconnue dans cette voiture. Je t’ai suivie, parce que je n’osais te serrer la main devant le monsieur qui était là. Et j’avais une envie d’être seule avec toi, tu penses ! Car, ici, je ne vois plus