Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/240

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Elle revivait les heures vécues avec Jacques dans ce lieu, et, ainsi qu’elle le disait, elle les revivait tout haut, malgré elle, comme si elle se fût trouvée seule.

Le feu qui flambait jetait sur les murs de larges clartés rougeâtres. L’ombre seule de Guillaume, toujours assis sur la table, montait jusqu’au plafond, noire, colossale ; le reste, les plus petits coins de la chambre se trouvaient vivement éclairés. Le lit, à demi découvert, blanchissait ; les meubles avaient sur leurs arêtes des filets de lumière, et des foyers en flammes dansaient dans leurs panneaux luisants ; les images prenaient des tons crus, les vêtements rouges et jaunes de Pyrame et de Thisbé tachaient le papier peint d’éclaboussures de sang et d’or ; la pendule de verre filé, le château frêle s’illuminaient des caves aux greniers, comme si les poupées couchées dans les appartements y eussent donné quelque gala.

Et Madeleine, dans cette clarté vive, égratignant aux meubles sa robe brune de voyage, la face d’une blancheur mate et les cheveux d’un roux ardent, allait d’un pas saccadé le long des murs de la chambre. Elle regardait un à un les tableaux qui racontaient les malheureuses amours de Pyrame et de Thisbé.

— Il doit y en avoir huit, dit-elle, je les ai comptés avec Jacques. Je montais sur une chaise, je lui lisais les récits qui accompagnent les images. Cette histoire lui semblait drôle, il riait des fautes de français, des tournures ridicules des phrases… Je me souviens que je me suis fâchée de ses rires. Je trouvais ces amours naïves, pleines d’une bêtise adorable… Ah ! voilà le mur qui séparait les amants et par une fente duquel ils se confiaient leurs tendresses. N’est-ce pas charmant, ce mur crevassé, cet obstacle qui ne peut arrêter deux cœurs !… Et puis le dénoûment est terrible. Voici la gravure où Thisbé trouve Pyrame baigné dans son sang ; le jeune homme a cru que son amante venait d’être dévorée par une lionne ; il s’est poignardé, et Thisbé, en le voyant sans vie, se tue à son tour, se jette sur son corps pour y mou-