Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/241

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rir… Je voudrais mourir ainsi… Jacques se moquait. « Si tu me trouvais morte, lui demandai-je, que ferais-tu ? » Il est venu me prendre dans ses bras, il m’a donné un baiser en riant plus fort et en me répondant : « Je t’embrasserais comme cela, sur les lèvres, pour te ressusciter. »

Guillaume se leva, fiévreux, sourdement irrité. Les pensées, les spectacles que sa femme étalait, lui causaient une angoisse insupportable. Il aurait voulu la bâillonner. Il la prit par les poignets, la ramena au milieu de la pièce.

— Tais-toi, tais-toi ! lui cria-t-il. Tu oublies donc que je suis là ? Tu es trop cruelle, Madeleine.

Mais elle s’échappa, elle courut, vers la fenêtre.

— Je me souviens, dit-elle en écartant un des petits rideaux de mousseline, cette fenêtre donne sur la cour. Oh ! je reconnais tout, un rayon de lune me suffit… Voilà le pigeonnier de briques rouges ; le soir, je regardais avec Jacques rentrer les vols de pigeons qui s’arrêtaient un instant, sur les bords des toits, à se lustrer les plumes, avant de disparaître un à un par les étroites portes rondes ; ils avaient de petits cris plaintifs, ils se becquetaient… Et voilà la porte jaune de l’écurie qui restait grande ouverte ; nous entendions souffler les chevaux ; des bandes de poules arrivaient en caquetant, et grattaient la paille dont elles amenaient des brins au-dehors… Il me semble que c’était hier. J’avais dû garder le lit, les deux premiers jours ; je grelottais de fièvre. Puis, quand j’ai pu me lever, je suis venue à cette fenêtre. Je trouvais bien triste cet horizon de murs et de toits, mais j’adore les bêtes, je m’amusais des heures entières de la gloutonnerie des poules et des grâces amoureuses des pigeons… Jacques fumait, se promenant de long en large dans la chambre. Quand je l’appelais avec des éclats de rire pour voir un poussin qui se sauvait, un ver au bec, et que tous les autres poulets poursuivaient afin de partager la friandise, il venait, se penchait, me serrait à la taille… Il