Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/249

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ser. Les rares paroles qu’ils échangeaient, demeuraient banales et vides. Ils s’affaissaient dans l’ennui, ils ne se sentaient même plus la force de penser tout haut à leurs souffrances. La crise qui les avait secoués au Grand-Cerf, semblait les avoir frappés de stupeur et de lâcheté ; ils en étaient sortis le cerveau endolori, les membres las, et ils se laissaient aller à un assoupissement, dans la tranquillité noire qui les entourait. Quand un souvenir cuisant déchirait brusquement leur être endormi, ils se disaient qu’ils avaient un mois devant eux. Jacques leur accordait trente jours de paix, ils pouvaient sommeiller jusqu’à son retour. Et ils se rendormaient, cherchant à s’hébéter, rêvant vaguement du matin au soir à des puérilités, au feu qui ne brûlait pas, au temps qu’il faisait, à ce qu’ils mangeraient à dîner.

Ils s’enfonçaient en pleine vie animale. Ils se portaient fort bien, d’ailleurs. Madeleine engraissait ; son visage qui s’empâtait prenait des blancheurs molles de nonne. Elle devenait gourmande, goûtait profondément toutes les jouissances physiques. Guillaume s’abandonnait comme elle à l’abrutissement de la douleur ; il passait des heures à trier avec les pincettes et à mettre derrière les bûches les petits morceaux de braise ardente qui tombaient sur les cendres.

Le mois de sommeil que les époux avaient devant eux, leur semblait ne devoir jamais finir. Ils auraient accepté d’achever leur vie dans l’imbécillité dont ils étaient frappés. Les premiers jours surtout, ils jouirent d’un grand calme. Mais cette stupeur ne pouvait durer ; elle fut bientôt traversée par des élancements brusques et aigus. Le moindre fait qui les tirait de leur accablement, leur causait des angoisses intolérables. Geneviève ne tarda pas à les martyriser ; ce fut elle qui les rejeta la première à leurs souffrances. Elle se dressa devant Madeleine, elle l’écrasa de sa présence.

La vieille fanatique, forte de sa vie de vertu et de travail, se montra impitoyable pour la pécheresse. L’idée des