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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/25

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MADELEINE FÉRAT

d’hier, de sa vie de jeune fille et de femme ; il inventait des transitions habiles pour la forcer à lui apprendre dans quelles circonstances elle avait déchiré une robe en dînant sous un de ces bosquets. Mais Madeleine éludait les questions, se replongeait, avec une sorte d’entêtement, dans les naïves histoires de son premier âge. Cela paraissait la soulager, détendre ses nerfs, lui faire accepter plus naturellement son tête-à-tête avec un garçon qu’elle connaissait depuis huit jours à peine. Lorsque Guillaume la regardait avec des yeux où passaient des lueurs de désir, lorsqu’il avançait la main pour frôler la sienne, elle prenait un plaisir étrange à ne point baisser les paupières, et à commencer ainsi une anecdote : « J’avais alors cinq ans… »

Vers la fin du dîner, comme ils étaient au dessert, de grosses gouttes de pluie mouillèrent la nappe. Le jour était brusquement tombé. Le tonnerre grondait au loin et se rapprochait avec le fracas sourd et continu d’une armée en marche. Un large éclair violet courut sur la nappe blanche.

— Voici l’orage, dit Madeleine. Oh ! j’aime les éclairs !

Elle se leva et alla au milieu de la cour pour mieux voir. Guillaume était resté assis sous le bosquet. Il souffrait. Un orage lui causait une étrange épouvante. Son esprit demeurait ferme, il n’avait point peur d’être foudroyé, mais toute sa chair se révoltait au bruit de la foudre, surtout aux lueurs aveuglantes des éclairs. Quand un éclair lui brûlait les yeux, il lui semblait recevoir un coup violent dans la poitrine, il éprouvait une angoisse dans l’estomac qui le laissait frémissant, éperdu.

C’était là un simple phénomène nerveux. Mais cela ressemblait à de la crainte, à de la lâcheté, et Guillaume était désolé de paraître poltron devant Madeleine. Il avait mis la main sur ses yeux. Enfin, ne pouvant lutter contre la rébellion de tous ses nerfs, il appela la jeune femme ; il lui demanda, d’une voix qu’il s’efforçait de rendre calme, s’il n’était pas plus prudent d’aller achever leur dessert dans l’intérieur du restaurant.