Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/265

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voix. Il ne tarda pas à se convaincre qu’elle avait gardé quelque chose des allures de son ancien amant. Cette découverte lui porta un coup terrible.

Il ne rêvait pas. En effet, Madeleine avait, par moments, des airs de ressemblance avec Jacques. Autrefois, partageant la vie du jeune homme, vivant dans son contact, elle s’était laissée aller à avoir ses goûts, ses façons d’être. Pendant une année, elle avait reçu de lui une sorte d’éducation physique qui la formait à son image : elle répétait les mots qu’il prononçait d’ordinaire, elle reproduisait à son insu ses gestes familiers, même les intonations de sa voix. Ce penchant à l’imitation, qui donne à toute femme, au bout de quelque temps, une parenté de manières avec l’homme dans les bras duquel elle vit, la mena jusqu’à modifier certains de ses traits, jusqu’à prendre l’expression habituelle du visage de Jacques. C’était là, d’ailleurs, une conséquence des fatalités physiologiques qui la liaient à lui : tandis qu’il mûrissait sa virginité, qu’il la faisait sienne pour la vie, il dégageait de la vierge une femme, marquait cette femme à son empreinte. Madeleine, à cette époque, s’étalait en pleine puberté épanouie ; ses membres, sa face, jusqu’à son regard et à son sourire se transformaient, s’élargissaient sous l’action du sang nouveau que le jeune homme mettait en elle ; elle entrait forcément dans sa famille, dans sa ressemblance. Plus tard, lorsqu’il s’éloigna, elle désapprit ses gestes, les inflexions de sa voix, tout en restant son épouse, sa parente à jamais conquise. Puis les baisers de Guillaume effacèrent presque sur son visage les traits de Jacques ; cinq années d’oubli et de paix endormirent dans son être le sang de cet homme. Mais depuis qu’il était de retour, ce sang se réveillait ; Madeleine, vivant continuellement dans la pensée et dans la terreur de son premier amant, retrouvait malgré elle, poussée par son idée fixe, ses attitudes, ses accents, son visage de jadis. On eût dit que toute son ancienne liaison reparaissait sur sa peau. Elle se remettait à marcher, à parler, à vivre à la Noiraude,