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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/266

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comme elle avait vécu rue Soufflot, en maîtresse soumise de Jacques.

Guillaume tressaillait parfois en l’entendant prononcer une parole. Il levait la tête avec effroi, il regardait devant lui, comme s’il se fût attendu à apercevoir son ancien ami. Et il voyait sa femme dont les jeux de physionomie lui rappelaient la figure du chirurgien. Elle avait des tours de cou, des mouvements d’épaules qu’il reconnaissait. Certains mots particuliers qu’elle répétait à tout propos, le secouaient douloureusement : il se souvenait d’avoir entendu ces mots dans la bouche de Jacques. Maintenant, elle ne pouvait plus ouvrir les lèvres, plus remuer un membre, sans qu’il la trouvât pleine et vibrante de son premier amour. Il devinait à quel point cet amour était en elle. Elle aurait voulu nier la possession de son être entier, que son corps lui-même, les moindres actes de sa personne eussent dit combien elle était esclave. Elle ne pensait plus seulement à Jacques, elle vivait avec lui, dans son étreinte, matériellement ; elle avouait à chaque instant qu’il la possédait toujours, qu’elle garderait toujours la marque de ses baisers. Pour rien au monde, Guillaume ne l’aurait serrée dans ses bras, lorsqu’il voyait en elle son camarade, son frère ; il finissait par la confondre avec ce garçon, il se serait cru coupable d’un désir monstrueux, s’il l’avait prise alors sur sa poitrine. Quand il eut acquis la certitude que Madeleine redevenait l’épouse soumise de Jacques, il se perdit dans l’étude de cet étrange changement ; malgré lui, bien qu’un pareil examen lui causât d’atroces souffrances, il ne quitta plus sa femme des yeux, il assista au réveil de l’ancien amour, notant chaque ressemblance nouvelle qui se révélait. Ses observations de chaque heure faillirent le rendre fou. Non seulement sa fille était le portrait de cet homme dont la pensée le brûlait, mais il fallait encore que sa femme lui parlât de lui, par sa voix, par ses gestes.

Madeleine, dans la transformation de son être, retrouvait aussi ses allures de fille. La sérénité douce et grave