Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/267

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que cinq années d’estime et d’affection avaient mise en elle, s’en allait sous les frissons de sa vie d’autrefois. Elle perdait le calme rose de son visage, les pudeurs, les grâces discrètes de sa démarche, tout cet air d’honnêteté qui en faisait une femme du meilleur monde. Maintenant, elle restait dépeignée des matinées entières, comme au temps où elle logeait rue Soufflot ; ses cheveux roux tombaient sur sa nuque, ses peignoirs s’ouvraient, montrant son cou, gras et blanc, gonflé de volupté. Elle s’abandonnait, mêlant à sa conversation des mots qu’elle n’avait jamais prononcés à la Noiraude, hasardant des gestes appris de ses anciennes amies, s’encanaillant à son insu dans ses souvenirs. Guillaume assistait, avec un effroi écœuré, à cet avilissement de Madeleine ; quand il la regardait marcher, balançant ses hanches, épaissie, alourdie sur ses jambes, il ne reconnaissait plus la créature saine et forte qu’il avait eue pour femme pendant quatre ans. Il se trouvait, à cette heure, marié à une fille pleine de la boue de son passé. Des fatalités de chair venaient de frapper Madeleine entre ses bras, comme pour lui montrer que ses baisers impuissants ne pouvaient la sauver des conséquences de sa vie première. Elle avait eu beau s’endormir dans un rêve de paix, elle s’éveillait à la première secousse de son sang, et retombait aux hontes qu’elle avait jadis acceptées et qu’elle devait à présent achever de boire.

Madeleine ne se voyait plus nettement. La conscience de ses abandons lui échappait. Elle souffrait simplement de la possession de Jacques qu’elle ne pouvait chasser de ses membres. Elle n’aimait plus cet homme, elle aurait voulu le mettre hors de sa poitrine, et toujours elle le sentait qui l’étreignait et la domptait. C’était comme un viol continuel, contre lequel son esprit se révoltait, et auquel son corps se livrait, sans que ses efforts de volonté parvinssent jamais à le délivrer. Cette lutte établie entre sa chair esclave et ses désirs d’appartenir entière à Guillaume était pour elle une cause éternelle de fièvre et