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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/270

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pieds nus dans la haute laine, les mains appuyées au bord du lit, il se courbait, regardant s’agiter Madeleine dans l’ombre des rideaux, comme s’il eût assisté à quelque spectacle monstrueux qui l’aurait cloué là d’horreur. Pendant près de deux minutes, il resta béant, ne pouvant détourner les yeux, écoutant malgré lui le murmure étouffé de la jeune femme. Elle avait rejeté la couverture, elle s’étirait les bras, gardant son sourire, répétant toujours : « Jacques, Jacques, » d’un ton de caresse qui allait en se mourant.

Enfin Guillaume s’irrita. Il éprouva un instant le besoin d’étrangler cette créature dont le cou, plein du nom d’un autre homme, s’enflait de volupté. Il mit la main sur une de ses épaules nues, et la secoua brutalement.

— Madeleine, Madeleine ! gronda-t-il. Éveille-toi !

Elle s’éveilla en sursaut, haletante, inondée de sueur.

— Quoi ? qu’y a-t-il ? balbutia-t-elle, en se mettant sur son séant et en regardant autour d’elle d’un air effaré.

Puis elle se vit demi-nue, elle aperçut son mari debout sur le tapis. Les regards fixes qu’il attachait sur sa poitrine encore secouée, lui apprirent tout. Elle éclata en sanglots.

Ils n’échangèrent pas une parole. Qu’auraient-ils pu se dire ? Guillaume avait une envie folle de s’emporter, de traiter sa femme comme la dernière des misérables, comme une prostituée qui salissait leur couche ; mais il se retenait, il sentait qu’il ne pouvait l’accuser de ses rêves. Quant à Madeleine, elle se serait battue elle-même ; elle aurait voulu se défendre des fautes dont son sommeil seul était coupable, et ne trouvant pas les mots convenables, comprenant que rien, tout innocente qu’elle était, ne pourrait la purifier aux yeux de Guillaume, elle entrait dans une véritable rage de désespoir. Les moindres détails de son cauchemar lui revenaient à l’esprit ; elle s’était entendue appeler Jacques en dormant, elle se souvenait d’avoir eu des soupirs et des frissons d’amour. Et