Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/271

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son mari était là qui l’écoutait, qui la regardait ! Quelle honte, quelle infamie !

Guillaume s’était recouché, s’allongeant sur le bord du lit, évitant tout contact. Les mains croisées sous la tête, les yeux au plafond, il paraissait abîmé dans une rêverie implacable. Madeleine, restée sur son séant, sanglotait toujours. Elle avait couvert ses épaules, renoué ses cheveux roux, par un besoin instinctif de pudeur. Son mari lui devenait étranger, elle était honteuse de son désordre, des frémissements qui couraient sur sa peau nue. Le silence et l’immobilité du jeune homme l’accablaient. Elle finit par s’épouvanter de le voir rêver ainsi. Elle aurait préféré une querelle qui les aurait peut-être jetés encore, éplorés et miséricordieux, dans les bras l’un de l’autre. S’ils ne disaient rien, s’ils acceptaient tacitement l’angoisse de leur situation, tout désormais serait fini entre eux. Et elle grelottait dans sa chemise, ramenée sur ses genoux ; elle poussait des soupirs profonds, sans que Guillaume parût s’apercevoir qu’elle souffrait à son côté.

À ce moment, un chant de cantique descendit de l’étage supérieur. Ce chant, assourdi par l’épaisseur du plafond, traînait dans la nuit calme comme une plainte de mort. C’était Geneviève qui, ne pouvant dormir sans doute, travaillait à son salut et à celui de ses maîtres. Cette nuit-là, sa voix se mourait en lamentations étrangement sinistres. Madeleine prêta l’oreille, prise de terreur : elle s’imagina qu’un enterrement défilait dans les corridors de la Noiraude, que des prêtres venaient la prendre en psalmodiant pour l’enterrer vive. Puis elle reconnut la voix aigre de la protestante, elle fit un cauchemar plus fou encore. En voyant Guillaume toujours muet, les lèvres serrées, les yeux fixes, elle se dit que les cantiques de Geneviève allaient peut-être lui rappeler la prière d’exorcisme dont cette femme lui avait enseigné l’usage. Il se pencherait sur elle, il lui ferait un signe cabalistique sur le sein gauche, un autre sur le sein droit, un troisième sur le nombril, en répétant trois fois : « Lubrica, fille de