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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/272

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l’enfer, retourne dans les flammes dont tu es sortie pour la damnation des hommes. Que ta peau noircisse, que tes cheveux roux coulent sur ton corps entier et le couvrent d’un poil de bête ! Va-t-en, au nom de Celui dont la pensée te brûle, au nom de Dieu le Père. » Et, qui sait ? peut-être alors tomberait-elle en poussière. Dans son effarement, à cette heure trouble de la nuit, elle acceptait, encore frissonnante de ses mauvais rêves, les divagations de la fanatique, se demandant si une prière ne suffirait pas en effet pour la tuer. Une terreur d’enfant la prit. Elle se recoucha doucement, se fit toute petite. Ses dents claquaient, elle craignait à chaque instant de sentir les doigts de Guillaume tracer des signes sur sa peau. S’il restait ainsi muet et les yeux ouverts, c’est qu’il attendait sans doute qu’elle fût endormie, pour s’assurer si elle était une femme ou un démon. Cette peur bête, écrasante, la tint éveillée jusqu’au matin.

Le lendemain soir, les époux firent deux lits, d’un accord tacite. À partir de ce moment, il y eut divorce entre eux. La scène de la nuit précédente avait comme brisé leur mariage. Depuis la résurrection de Jacques, tout les poussait peu à peu à cette séparation. Ils s’étaient entêtés à vouloir s’étreindre pour chasser le souvenir de cet homme, ils ne se déclaraient vaincus que devant l’impossibilité de lutter davantage : Guillaume ne se sentait plus la force de dormir au côté de Madeleine secouée par ses cauchemars, et celle-ci ne savait plus quel moyen employer pour se tenir éveillée. Leur divorce leur apporta quelque soulagement. Le plus étrange était qu’ils s’aimaient toujours d’une affection profonde ; ils se plaignaient, ils se désiraient même. L’abîme que des forces fatales avaient creusé entre eux, ne les séparait que matériellement ; ils restaient sur les bords du gouffre, à s’adorer de loin. Leurs colères, leurs dégoûts étaient ainsi pleins d’une tendresse impuissante. Ils sentaient bien qu’ils se trouvaient séparés à jamais ; mais, s’ils désespéraient de se rejoindre et de reprendre leur tranquille vie d’amour, ils éprouvaient