Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/274

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la face hideuse de Vert-de-Gris, qui les suivait de ses yeux troubles. Un hasard avait sans doute poussé jusqu’à Véteuil cette rôdeuse de grands chemins. Elle parut reconnaître Madeleine, un sourire découvrit ses dents jaunes et elle se mit à chanter le premier couplet d’une chanson que les deux jeunes femmes avaient jadis jetée ensemble aux échos du bois de Verrières, dans le crépuscule frissonnant, au retour de leurs parties de plaisir.

Sa voix rauque glapissait :

Il était un riche pacha
Que l’on appelait Mustapha.
Pour son sérail il acheta
Mademoiselle Catinka.

Et tra la la, tra la la la,
Tra la la la, la la, la la.

Le refrain prenait sur ses lèvres une navrante ironie. Les « tra la la, » qu’elle répétait avec une volubilité croissante, se perdaient dans un rire nerveux de folle. Madeleine et Guillaume se hâtèrent de rentrer, comme poursuivis par ce chant ignoble. Mais, à partir de ce jour, la jeune femme ne put mettre les pieds dehors sans rencontrer Vert-de-Gris pendue à quelque barreau de la grille. La pauvresse rôdait toujours autour de la Noiraude, par un entêtement de brute ; elle avait sans doute reconnu son ancienne amie, elle venait pour la revoir, machinalement, sans songer à mal. Pendant des heures, elle marchait comme font les enfants, sur le parapet de pierre, dans lequel la grille était fixée ; elle allait ainsi, se tenant aux barreaux, puis brusquement s’arrêtait, les bras levés, regardant dans le parc, curieuse et béante. Souvent on l’entendait chanter sur la route, derrière un mur, l’histoire de mademoiselle Catinka ; elle en répétait les couplets à plus de dix reprises, avec l’obstination d’une mémoire détraquée qui se plaît à rendre sans cesse les quelques phrases dont elle se souvient. Chaque fois que