Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conversation banale où il fut question des tristesses de la campagne en hiver et des plaisirs que Paris offre pendant cette saison, Guillaume proposa à Tiburce d’aller fumer un cigare dans une pièce voisine. La vue d’Hélène l’écœurait. Quand les dames furent seules, en face de M. de Rieu, elles ne trouvèrent plus rien à se dire. Le vieillard, assis dans un large fauteuil, les mains croisées sur les cuisses, regardait devant lui, de cet air vague des sourds dont aucun bruit ne trouble les pensées ; il semblait ignorer même où il était. Par moments, ses paupières se baissaient doucement, un regard mince et aigu s’échappait du coin de ses yeux, avec une singulière ironie, et allait fouiller le visage des deux femmes qui ne se doutaient nullement de cet examen.

Il y eut un silence. Puis, Hélène, malgré elle, parla de Tiburce. Elle ne pouvait plus causer que de ce garçon dont la domination l’emplissait. Tout la ramenait à lui ; elle avait vite épuisé les autres sujets ; elle revenait toujours, au bout d’un certain nombre de phrases, à l’existence de volupté et de terreur que lui faisait vivre son amant. Dans ses abandons de chair, elle perdait peu à peu ce respect humain, cette sorte de pudeur dernière, faite de prudence et d’orgueil, qui empêche une femme d’avouer ses hontes tout haut. Elle, au contraire, prenait plaisir à étaler son amour ; elle se confiait aux premiers venus, n’ayant plus conscience de ses infamies, satisfaite, pourvu qu’elle s’occupât de celui qui était devenu tout pour elle. Il suffisait, d’ailleurs, qu’on la laissât se confesser sans trop l’interrompre ; alors elle se plongeait avec des délices cuisantes dans le récit de ses débauches, elle arrivait d’elle-même à des aveux monstrueux, elle semblait se vautrer dans ses propres paroles, oubliant qu’elle s’adressait à quelqu’un. La vérité était qu’elle parlait pour elle seule, pour revivre les saletés qu’elle racontait.

Elle dit tout à Madeleine. Une simple phrase lui servit de transition pour passer de leur causerie banale à la confession de son adultère. Elle fit cela si naturellement,