Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/280

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que Madeleine put recueillir son aveu sans sourciller. Quand elle eut nommé Tiburce comme un amant que la jeune femme devait lui connaître depuis des années, elle ajouta d’un ton pleureur :

— Ah ! chère dame, je suis cruellement punie. Cet homme, qui était si doux, si caressant jadis, est devenu cruel, impitoyable… Il me bat. Je sais bien que cela est honteux à avouer ; mais je suis si misérable, j’ai tant besoin de consolation !… Que vous êtes heureuse, vous, de n’avoir jamais failli, de pouvoir vivre en paix ! Moi, j’endure tous les tourments de l’enfer… Vous avez vu, Tiburce m’a encore bousculée tout à l’heure. Il me tuera peut-être un de ces jours.

Elle jouissait profondément de ses souffrances. Sa voix prenait des inflexions voluptueuses en parlant des coups qu’elle recevait. On devinait que, pour rien au monde, elle n’eût changé sa vie de martyre contre l’existence de calme chaste dont elle feignait de désirer les joies. C’était une simple façon de s’exprimer ; ses faux repentirs lui permettaient de raconter tout au long son histoire ; elle y trouvait d’étranges excitations, des secousses nerveuses qui lui faisaient sentir plus profondément les plaisirs amers de sa vie. Peu lui importait de montrer ses plaies pourvu qu’elle causât de son sujet favori ; elle se plaisait même à rendre sa situation plus horrible, à se poser en victime, ce qui l’amenait à s’attendrir sur elle-même. Pendant des heures, lorsqu’on voulait bien l’écouter, elle geignait ainsi, regrettant ses jours d’innocence qui étaient trop loin pour répondre à son appel, se plongeant dans sa fange avec des satisfactions de brute léchant la main qui la frappe.

Bien qu’elle parlât à voix basse, Madeleine craignait que M. de Rieu ne l’entendît. Elle regardait le vieillard d’un air inquiet. Hélène surprit son regard.

— Oh ! n’ayez pas peur, reprit-elle d’une voix plus nette, avec un cynisme tranquille, mon mari ne m’entend pas… Je suis bien plus à plaindre que lui. Il ignore tout,